J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Ajustements d'Images

ETATS DES YEUX | Octobre 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 40 | Automne

 

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Quand les vents sont contraires,

appuie sur eux ton échelle et grimpe

 

Attends que ta colère

comme le vent se fatigue

 

Pose une pierre sur ton ombre

et pars en courant

 

Si tu sais aimer le plus bête des cailloux

tu sais aimer

 

Mon ami Tchang dit

que les vraies amitiés

sont comme les neiges éternelles

elles sont tout en haut

 

Jean-Pierre Siméon

Le livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu

CHEYNE éditeur, 2016

 

 

Reprise des notes ici, plusieurs événements déclencheurs

Besoin de faire le point sur l'écriture rassembler les idées d'abord

Dépasser l'écoeurement et le découragement...

Encore une fois la vie déborde et dévaste

je ne digère plus  mentalement le trop plein

le trop plein de mort

le trop plein d'images glauques

le trop plein de mots vides 

Les lâchetés et les violences s'agglutinent à longueur d'écran

Le struggle for life affiche ses combines et ses exactions

L'enfance est massacrée, profanée

Des femmes sont bridées, violées et parfois tuées

La misogynie revient en force aussi dans la politique

Dans les comportements mafieux et complaisants

les dictatures prospèrent et gangrènent la justice

les peuples sont trahis et instrumentalisés 

le dieu pognon décide qui doit vivre et qui doit mourir

Rien de nouveau sous le soleil  mais celui-ci est devenu

un ennemi, un pilleur d'eau même contaminée

On attend que ça pète et ça hurle déjà au plus fort

au plus malin au plus cynique au plus méprisant

Même le Printemps des Poètes en rajoute sans le vouloir

Il prône La poésie volcanique... comme si ça ne suffisait pas...

le grabuge le chaos la débandade l'exode la mutilation le marasme

Je ne crois plus à la naïveté  aveugle d'une poésie qui sauve  le Monde,

d'ailleurs le mot Sauveteur est masculin et porté aux nues quand ça arrange

Il permet de justifier toutes les guerres et les passages à l'acte perpétuels

Les agressions et les sauvetages font s'égosiller les sirènes partout  dans la cité

Des couteaux perforent, des explosions déchiquettent,

Des détresses, des destins brisés sont enfouis sous des silences et des gravats.

La spirale du crime se répand dans la plupart des pays

sous  la tutelle des marionnettistes géodélocalisés

 

J'ai peur des bombes, des drones, des avions de chasse, des ouragans

et des volcans. J'ai peur des hommes qui  partent tuer des vivant.e.s,  

les enferment, les refoulent ou les torturent au physique comme au mental.

Tous les jours nous abreuvent avec les images de haine à côté des scores du CAC 4o

ou de la nouvelle tenue vestimentaire de l'épouse du président,

de l'inconséquence de gros bébés hargneux à jouets nucléaires... 

La coupe est pleine et je n'écrirai pas de poème utile dans ces conditions. 

Je vous trouverais du courage à en avoir encore envie

Car pendant ce temps là et cela m'attriste, les egos des poètes et des artistes cherchent une niche  confortable pour continuer à créer dans la pagaille générale. Ils courent tous et toutes après les sous de subvention ou de mécénat pour prendre de la distance avec la réalité, en parler en "spécialistes" avec des mots justes et excitants.  Aujourd'hui on va "chercher la parole" des gens pour en faire des livres et de jolies fictions qui font vibrer le cortex émotionnel et sensuel. Le parler mal et vulgaire fait la Une. On choisit soigneusement les insultes et on les répète sur les chaînes de TV... Le bégaiement haineux et moqueur remplace l'analyse et le respect de l'autre, le débat équitable. Jeu de miroirs déformant. Ping Pong de la médiocrité. La société actuelle favorise cette recherche de mise au pilori et il faut changer de bouc émissaire pour ne pas s'ennuyer... On n'y comprend plus rien...  Mensonges et sur-mensonges, fake news comme sport international. On n'a pas le temps de penser d'aplomb... On tombe dans l'idiotie et le spectacle graveleux... Rien d'intéressant dans tout cela. 

Alors je préfère écouter de la musique et ne plus répondre aux orgueilleux.

 

A l'instant... Pluie de missiles depuis l'Iran...

Une femme en veste rose fuschia parle devant une image de ville en miettes...

Tellement banal  tellement odieux tellement triste

 

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Quatorzaine

 

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Extrait flou d'une Biennale d'Art Contemporain au Musée Confluences

 

la parole est un noeud dans le ventre, ce noeud rentré est

l'ombilic. La parole dit le lien et la séparation. Le ventre est le

lieu, le lien de séparation. Il n'est pas nécessaire de comprendre.

Il suffit d'accueillir les mots qui me quittent.

 

Michaël Glück , ciel déchiré après la pluie

 

 

Quatorzaine

 

Le premier mot du confinement est  consternation

Le second est information

Le troisième est explication

Le quatrième est expérimentation

Le cinquième est compassion

Le sixième est séparation

Le septième est distanciation

Le huitième est concertation

Le neuvième est émotion

Le dixième est réflexion

Le onzième est connexion

Le douzième est évolution

Le treizième est confusion

Le quatorzième est décision

 

[...]


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Sous la lampe de jour et de nuit de Colette

 

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"Je voulais que ce livre fût un journal

Mais je ne sais pas écrire un vrai journal,

c'est à dire former grain à grain, jour après

jour, un de ces chapelets auxquels la préci-

sion de l'écrivain, la considération qu'il a

de soi et de son époque, suffisent à donner

du prix, une couleur de joyau, garder l'insolite,

éliminer le banal, ce n'est pas mon affaire,

puisque ,  la plupart du temps, c'est l'ordinaire

qui me pique et me vivifie. A me promettre de

ne plus rien écrire  après...

[... ] Que mon lecteur s'y résigne : lampe de jour et

de nuit, bleue entre deux rideaux rouges,

étroitement collée contre la fenêtre comme

un des papillons qui s'y endorment le matin,

en été, mon fanal n'éclaire pas d'événements

de taille à l'étonner. ".

 

Colette, Le fanal bleu

 

Dimanche de Pâques .  

J'écoute une émission sur Colette ce matin...

"J'ai bonne envie de dire"... comme  cette ancêtre de littérature, que je n'ai pas vraiment lue jusqu'ici,  ce que j'ai en tête aujourd'hui,  "collée" à la baie vitrée et à l'écran d'ordinateur...

Cela n'a pas grand chose à voir avec elle. Mais sa légende m'intéresse... son "bonnet d'astragan" en guise de chevelure... Sa liberté de comportement, son goût pour les marginaux et la rusticité dans ses relations. Ses défiances contre les "suffragettes" et ses encouragements pour un féminisme au quotidien... Dans la vie comme au cinéma , "il n'y a qu'une bête" et "les secrets des simples"...

Je pense à toutes les fêtes de Pâques traversées depuis ma naissance, la plupart amnésiques. La tradition des poules dodues et des poissons plats en chocolat, des mini-oeufs en sucre parfaitement écoeurants, dont nous nous gavions pourtant pour sentir la liqueur sous la dent, exorbitant luxe familial  annuel associé à la messe et aux cloches tambourinantes. Il y a belle lurette que je ne vais plus à la messe, je suis une mécréante assumée qui songe avec tendresse et ironie à tous ces mensonges de l'éducation parentale, eux-mêmes piégés par leur formatage social et culturel. Le rituels chrétiens ont disparu de ma vie, sauf pour les inhumations où je ne peux que respecter les choix des morts et de leurs représentants mais je me refuse à réciter les prières imprimées dans mon cerveau, à chanter des chants laudateurs et culpabilisants. La liturgie me semble à chaque fois artificielle, outrancière,  complètement détachée de l'affectivité des survivants. "Ne pleurez pas ! " Bien, sûr que si !  " Laissez - le ou la entrer dans le Royaume de Dieu " !  Encore faut-il qu'il existe !  Ici-bas , il s'appelle inquisition, terrorisme, scandale pédophile, carcan comportemental, patriarcat rétrograde... Dieu n' y est pour rien 'y 'existe pas... Si ?  et s'il existait, il faudrait lui demander des comptes, non ? La religion n'a été inventée que pour capter des richesses et réguler l'expansion des graffitis sur les murs des lamentations. L'humain est démuni, impuissant, fragile et il réclame depuis la naissance une protection supérieure, un modèle d'identification et des repères pour tracer son destin... Le sentiment d'appartenance à une croyance collective le rassure et l'enferme dans des doctrines qui le dépassent et le contraignent. L'aspect commercial des festivités religieuses est un prosélytisme déguisé difficilement évitable. Avec la mondialisation et le mélange des cultures il devient une Babel Babylonienne où nous picorons des distractions conviviales. Aujourd'hui nous ne ferons pas la chasse aux oeufs avec l'enfant dans un jardin... Nous ne lui parlerons ni de  Jésus, ni de la résurrection, ou alors s'il s'y intéresse, comme un conte de fée un peu glauque ... La semaine sainte est confinée  et elle évite des contaminations. C'est un bien commun que de suspendre ces rassemblements  dans les circonstances actuelles. Cela me fait réfléchir sur le statut de la spiritualité et de ses effets grégaires dans nos existences. Nous ne renoncerons pourtant pas aux petits oeufs qu'on cache, nous en répartirons dans l'appartement, mardi prochain, avec un plan d'île aux trésors... 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Cadeau de Pâques

 

 

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Chantal ROUX  1949- 2016 (c)

 

Impuissante à se libérer

Pour que fleurisse sa tige, 

Ailleurs le laurier monte 

Jusqu'au prestige

 

Armen LUBEN, Sainte Patience, Jour après jour

 

 

Odyle est une Amie de longue date, que j'ai connue lorsque j'étais élève infirmière dans un grand Hôpital Psychiatrique départemental. J'ai repris son poste lors de son départ de la ville et j'ai gardé le contact avec elle, ce que je ne faisais pas facilement à l'époque. On rencontre tant de gens lorsqu'on travaille dans un établissement de santé qu'on en a le tournis, mais les amitiés qui s'y forgent ont un caractère inaltérable. Ces compagnonnages aident à supporter les difficultés du métier, le rendent plus humain, plus solidaire. Cette Amie avait supporté la jalousie des autres soignant.e.s car, lorsque je l'ai connue, elle travaillait à la journée et avait tous ses week-ends. La règle étant alors de travailler en 2 fois 8 heures en alternance , commençant tôt le matin ou finissant tard le soir, avec des repos variables selon un cycle préétabli et une relève d'une demi-heure entre les équipes, y compris avec celle de nuit . Au bout du cycle, il y avait trois jours de repos consécutifs et la possibilité d'y accoler des jours de congés en les optimisant le mieux possible. Certains agents étaient passés maîtres en prévisions de planification et cherchaient à obtenir les roulements les plus avantageux dans l'équipe. Des tensions naissaient de cette course aux meilleures places pour diminuer le plus possible le temps de présence en service dans la folie ambiante. A cette époque le nombre des patient.e.s confiné.e.s  allait jusqu'à 50 dans des conditions architecturales héritées d'Esquirol , où la promiscuité était génératrice d'inconfort majeur et d'angoisses exacerbées par les pathologies de départ. L'immersion quotidienne dans ces lieux d'enfermement tenait de l'entrée dans la fosse aux serpents ou aux lions, et l'humanisation était une obsession pour les jeunes soignant.e.s livré.e.s à eux-mêmes les trois-quart de leur temps, ou supervisés par des directives médicales plus ou moins convaincantes et intermittentes.Les services les plus difficiles étaient souvent désertés par le corps  médical, et redoutés par les personnels subalternes... C'est pourtant là que se trouvaient les clés de compréhension de la nature humaine et de ses besoins fondamentaux. C'est là que le métier rentrait le mieux en même temps que l'humilité et le courage. Mon Amie le savait et c'est pour cela qu'elle  avait accepté la mission d'organiser des activités pour des malades extrêmement démunis et perturbés psychiquement, certains sans langage verbal articulé. Une gageure, un défi fou... une utopie sans doute, mais elle y croyait et le prouvait chaque jour en organisant  pour les plus régressé.e.s, ce que j'appelais avec un humour un peu douteux, son "école maternelle à perpétuité", et pour les autres, des activités ergothérapiques  "occupationnelles"... Son enthousiasme, sa créativité et sa douceur tranchaient avec les attitudes très défaitistes des autres membres de l'équipe, mais elle savait attirer certains d'entre eux pour rallier sa cause humanitaire de proximité. Elle est sans doute l'une des rares professionnelles qui m'ont donné envie de continuer ce métier en allant vers une amélioration des conditions de considération  des malades et des personnels.

Aujourd'hui, cette Amie souffre d'une maladie de Parkinson ... Elle  fait encore du théâtre et s'investit dans une Association liée à ses préoccupations actuelles,  malgré le fait qu' elle se retrouve murée dans ses mouvements, de l'autre côté de la barrière des soins... Parfaitement lucide, elle endure tout avec douleur et désespoir.  Elle s'est blessée récemment,à la colonne vertébrale, en tombant. Elle a été hospitalisée en plein confinement... Double peine , pour elle aussi... Je ne sais pas comment la soutenir, car toute conversation au téléphone est impossible, sa voix a disparu ou ne peut être audible...  Seule l'écriture qui lui demande un effort surhumain est encore praticable. Elle m'envoie un poème qui me bouleverse. Je le retranscris ici :

 
Semaine sainte sans office...
 
Lundi
Traverser le pont
Chercher
Regarder en arrière
Retraverser le pont
Faire une lessive
Plonger dans l'incertitude
 
Mardi
Tes yeux n'ont rien dit
Il faut traverser le pont
Quelle est la couleur de l'eau ?
Ou se niche la vérité 
Retraverser le pont
 
Mercredi
La douleur est insupportable
Il faut traverser le pont
Les masques se fondent 
En larmes
Il faut retraverser le pont
 
Jeudi
Accrocher le cadenas des amours
Cirer ses chaussures
Dire merci
A qui à quoi?
La vérité qui me la dira?
 
Vendredi
Jour de marché
Traverser le pont
Chagrin
Clandestin
Elle a osé
Elle n'aurait pas du
Faut _ il traverser le pont?
 
Samedi
Acheter des fleurs
Du vin 
Traverser le pont
Ecrire en bleu
La vérité
Se laver les dents
 
Dimanche....
 
Je saute 
 
 
 
Odyle Collin

ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Flotter, je ne vois pas d'autre choix ce matin...

    

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Je cherche en moi ce qui permet de ne pas laisser libre cours à l'inquiétude contagieuse. Je ne crois pas qu'il s'agisse de barrières ou de filtres pour barrer la route à la conscience. Certainement pas... Je me rapproche de l'idée d'un risque de mort possible dont j'ignore la cible et les délais de surgissement. Je ne veux pourtant pas mourir tout de suite ni laisser mourir les autres et je me demande bêtement comment il faut s'y prendre, en dehors du fait de ne pas sortir de chez soi, laissant mon compagnon prendre le risque pour lui-même de rencontrer l'indésirable agent d'épouvante qui se propage dans le Monde sans permis de passe-frontières. Je devrais applaudir mon compagnon plus souvent ! Il s'occupe aussi des trajets de l'enfant aller-retour pour les jours de garde car pour aider ses parents,  nous veillons ensemble à sa progression scolaire en lien avec les directives numériques de l'instituteur. Nous devons garder notre sang-froid devant la perspective d'un prolongement du confinement et l'attente de solutions sanitaires efficaces et accessibles. Nous sommes pourtant des privilégiés. Retraités donc disponibles avec de l'argent suffisamment pour varier les repas et assumer nos besoins matériels.

    Nous avons travaillé quatre décennies complètes ( la grande moitié de notre vie...) pour obtenir ce niveau de confort et prenons la mesure des efforts consentis à cet effet pour élever trois enfants en travaillant. Ces derniers parviennent tout juste à vivre décemment de leurs salaires, malgré des études et un environnement aidant, ils ne feront jamais partie des classes dominantes et je n'en suis pas du tout contrariée. La solidarité est de mise car nous ne savons pas comment les choses vont tourner pour tout le monde.

    Nous pensons aussi à la famille élargie, aux ami.e.s, à ceux dont l'âge les installe dans les populations à protéger en priorité. Je pense à ma vieille Dame tant aimée qui se laisse couler au fond de son lit d'E.H.P.A.D faute d'alternative... Je pense également à tous ceux qui sont dans la misère, dans la rue, exposés comme à un pilori qui n'est pas du tout symbolique mais bien réel. Les sacrifiés du système aux abords des caniveaux...

    Je pense aux migrants que nous avons soutenus tout un hiver : Vladica, Gordana et leurs petits Mélissa et Michaelo,  Margan et Klaudia, leurs enfants Léontina et Alexander lesquels se sont volatilisés dans la Nature plutôt que d'être reconduits manu militari dans leurs pays d'origine. Des centaines comme eux balladés entre des états rejetants... Je pense au  malin loup noir non menaçant  que je leur avais dessiné sur un carnet pour apprendre à parler avec eux...les faire sourire... apprivoiser leur coeur en bonne humanité... Dans ma vie, je n'ai jamais été reçue avec autant de générosité que parmi eux. Ils n'avaient rien, ils étaient confinés eux aussi dans des Foyers déclassés et insalubres, ne pas être à la rue était pour eux le summum du répit.  Ils vivaient au jour le jour en essayant de comprendre les circuits de l'aide et en remerciant sans cesse du moindre geste de secours... Comment avouer que je pense plus à eux en ce moment qu'à mes proches dont je sais qu'ils ont ce qui faut pour ne pas paniquer ou le moins possible.

    J'essaie de me rappeler ce que nos parents disaient de leur vie pendant la guerre, comment ils la percevaient, de quoi ils avaient peur au quotidien. Curieusement, leurs souvenirs étaient flous ou caricaturaux, les chaussures trop petites, les topinambours et les rutabagas, le couvre-feu, les boches à tous les coins de rue, le bruit des bottes, les convois militaires, les ravitailllements à la campagne en vélo... l'attente interminable...

    Quand nous sommes nés dans les années 50 et en grandissant, ils n'en parlaient qu'en nous voyant tordre le nez sur une assiette d'épinards ou de chou-fleur... Gaspiller était un péché non véniel.

Aujourd'hui et ici,  l'ennemi  est un insidieux , un invisible qui peut pénétrer à tout instant dans nos maisons , il ne sera jamais le bienvenu, et son danger potentiel est permanent.

     Je ne devrais pas m'épancher ainsi... Ecrire ce que tout le monde sait , sent et redoute est presque indécent. Mais garder la trace subjective d'un état d'esprit à un moment donné peut être un sujet de réflexion. Comment tient-on le cap  face aux tempêtes virales, morales et pulmonaires de ce siècle ? Je n'en sais rien...

J'accorde mon souffle à celui des autres pour faire dévier la proue...la voile est trouée de part en part, et la coque rouillée grince dans toutes ses jointures, elle veut pourtant rejoindre une crique de sérénité qu'elle ne distingue pas encore à l'horizon... Flotter...Rêver...je ne vois pas d'autre choix encore ce matin...


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Ravalements...Rétroviralement... Révélation... Réveil ?

 

LA SPHERE

 

La possession de cette sphère de bois fut un grand

bonheur dans la vie de Bertrand. Il la plaça sur une colonne

et la faisait pivoter. Mais il souffrit bientôt de n'en voir 

qu'une face. Il couvrit le mur d'un miroir et put ainsi 

contempler la boule tout entière . C'est alors qu'il comprit la

grande douleur de n'en point voir l'intérieur.

 

NORGE | LE SAC A MALICES

 


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Charles Juliet par Winfried Veit  2019

 

Ce qui est surprenant et instructif dans la vie, c'est qu'on ne sait jamais comment elle va tourner, et autour de quoi. 

J'avais un peu abandonné cet espace d'écriture, l'avait remplacé provisoirement par autre chose, d'autres chantiers.

J'hésite toujours entre poésie et prose, idéalement, j' aimerais allier les deux comme des morceaux de mosaïque, à la manière de Ferdinand Léger ou de Marc Chagall, et même savoir aller parfois (pas trop souvent) jusqu'à la réflexion argumentée d'essai, comme Pascal Quignard ou Patrick Laupin qui s'appuient sans se rassurer eux-mêmes sur les trésors de la langue et de ses origines...  Le premier Musicien, le second Mallarméen, les deux recéleurs de larmes qui ne sont pas que les leurs...  J'aime cette transcapillarité des destins humains... de la douleur  et de la solitude  en pleine conscience...

Mais voici que les circonstances, l'avènement du  redoutable COVID 2020 qui séquestre tout le monde ou pas loin parmi mes contemporain.e.s me ramène à cette cabane de mots saisonniers.  Je n'ai pas tellement envie de commenter ce qui se passe à l'extérieur de cet espace virtuel, mais je prends souci du lien humain que l'écriture peut apporter en réfléchissant sur ses excès et ses carences. Je n'ai jamais eu peur d'exprimer ce que je pensais dans la vie courante, et  j'aimerais que tout le monde puisse en faire autant. Je sais que c'est difficile et que le silence intelligent fait partie des capacités à développer en temps sociaux troublés, en raison objective de l'angoisse générée par la Pandémie actuelle...

Nous sommes en grande majoriré confiné.e.s chez nous ou chez d'autres, néanmoins certain.e.s sont contraints de sortir pour soigner, nourrir, maintenir un minimum de services publics au péril de leur propre santé. Il y a des phénomènes  de solidarité spontanées ou suscitées par les médias et le réseaux sociaux numérisés... Les capacités d'adaptation à l'urgence sanitaire fait couler beaucoup d'encre, de salive et chacun.e y va de ses recommandations, ses astuces, ses mises en garde, ses blagues plus ou moins douteuses, sa stratégie de résilience... La vie ne se laisse pas museler et c'est un réconfort de le savoir... En dessous du volcan d'angoisse et ses projections menaçantes, il y a la réflexion éthique, politique et bien sûr l'idée que l'aventure collective  et l'expérience liées à la catastrophe en cours aura des leçons à donner, et  exhumera une nouvelle façon  de considérer les héritages de la consommation sans discernement, d'une mondialisation qui propage les maladies et les injustices, les rend encore plus criantes...  Plus que jamais, les méthodes et les moyens montrent leurs limites, leurs erreurs , leurs aveuglements, leurs impuissances déniées par les décideurs du moment...  C'est le moment de se poser les questions essentielles et de les soumettre au tri et au recyclage énergique...

A l'échelle individuelle, dirait KRISHNAMURTI , dont me parle Charles JULIET tous ces jours, tout est possible !  Le tout, le rien !  Et il sourit... Moi aussi... toujours un peu rivée à cette histoire de ...

COURAGE DES ESCARGOTS !

 

 

 


ETAT DES YEUX 1 | En Automne | Appartenances

 

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       Entre lecture et écriture le regard s'affaire et se défie des zones délabrées du souvenir. Quelque chose de profond s'amenuise dans le retrait des circonstances. La vie a pris le pas sur le retour sur images. Synchronie des événements et de leur reprise dans l'écriture. Le mot à mot des silences successifs embrasse toute la portée des douleurs. La tranquillité s'affermit , elle a cessé de se vouloir et d'en vouloir davantage. L'inquiétude est composite, elle a à voir avec l'empilement des années, elle gise comme un minéral abandonné sous une couche d'humus, une sorte de socle un peu caché mais non expulsable. Des mouvements d'eau ou d'air peuvent la mettre à jour, l'on admet donc le phénomène une fois pour toutes même si on le redoute . Appartenance au destin, appartenance à la chute des raisons, appartenance à la joie des présences, appartenance à la tristesse des séparations, appartenance aux loyautés déductives, appartenance à la faiblesse universelle, appartenance au courage contagieux, appartenance à la conscience dubitative, appartenance au magma des éruptions inconscientes imprévisibles, appartenance aux sentiments dédiés, appartenance à la souffrance  corporelle, appartenance aux indépendances actives, appartenance au chagrin, appartenance à l'émerveillement devant la nature vivante, appartenance à la terreur des terreurs perpétrées par les hommes, appartenance à la douceur restituée dans chaque parcelle de consolation, appartenance à la cause des femmes, des mères et des amantes, appartenance à la vie donnée et rendue sans regrets, appartenance à la langue orpheline des autres langues non apprises, appartenance à la planète comme fourmi-cigale à la chance inouïe, appartenance à ton amour que je n'ai pas vu venir et repartir, appartenance à l'amitié qui supporte l'attente, appartenance à tes yeux qui n'ont pas dit leurs derniers mots, appartenance à l'appartenance qui arrime aux consciences et à leurs gestes imprévus, appartenance au rire, à l'humour , au sursaut, au sursis, appartenance au manque, petit moteur de tout.

 

M.T. 11 Octobre 2015


Du côté de chez SWAN | Rencontres 1

 

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              Photos M.T Peyrin - Les habitants du Lac  | Miribel| été 2015

 

Mendicité palmée...


Un soir d'été au bord du Lac peuplé de verdure et de grands cygnes blancs. Ils viennent chercher la pitance donnée par les baigneurs ou les promeneurs. Ils ne craignent pas de s'approcher de la rive. Leur nage est élégante, majestueuse. Leur long cou mobile glisse en dansant entre l'eau et le ciel. Leurs yeux fardés d'orange, cerclés de noir guettent les jeteurs de pain.

 


Poème de circonstance | Pour Tanguy DOHOLLAU et Michaël GLÜCK | Des côtes d'Armor à la Méditerranée

 

 

Pour Tanguy DOHOLLAU et Michaël GLÜCK 

Epistoliers de JUILLET | 2015

 

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                      John Edward MENTHA

 

 

 

Enfermée derrière la grille qui entoure le

bassin des poissons rouges, une petite fille

pleure en regardant tout ce qui se trouve

maintenant pour toujours à distance.Ici

est  le centre du monde, elle ne pourra jamais

échapper à cette eau qui retient le ciel

dans la déchirure d’un œil

 

Heather DOHOLLAU

La Venelle des Portes

 

 

***

 

 

 le potier

assis dans la mémoire

tourne le vase et la plénitude

 

vin du désert

 

paroles… »

 

Michaël GLÜCK

Dans la suite de jours |dit

 

 

 

Nos voix, nos os, nos cendres, nos mots

 

Finalement il faudrait qu’on se dépêche un peu

à rassembler les moments forts de notre histoire

avant qu’ils soient recouverts par les récits affectifs

de nos enfants

 

Évocations forcément édulcorées, cariées, lacunaires

 

La mémoire est liquide, elle coule uniquement

où le passage est possible, jusqu’à la claustration

par une matière non soluble dans l’eau, provisoire :

 

Le livre avant qu’il ne soit submersible ?

 

La dalle de la tombe et les os blanchis en dessous,                   

seulement  s’ils ne sont  pas incinérés d’un coup

selon les nouvelles façons de mourir en nuées successives 

pulsées dans l’anonymat des cheminées de nécropoles ?

 

Les souvenirs ne s’accrochent pas davantage aux nuages

qu’aux  parois des caveaux car leur encre est trop dense

nerveuse, sinueuse,  lourde et prompte à chuter au fond du jamais plus,

efficace  ponceuse sur les parois du néant, délébile  et dévouée…

 

C’est pourquoi on conseille des épitaphes concises

mais nombreuses  aux poètes qui ont aimé les mots 

et la vie qu’ils trimballent à longueur de poèmes .

Les sculptures sont peut-être plus loquaces encore…

Quant aux images, même peintes, elles restent plus longtemps …

Mais d’emblée illisibles, tel sourire, tel regard, tel trait, telle couleur

telle attitude interprétable ou non.

Manquent le contexte et l’infime des détails

À chaque  image, il faut un code d’entrée

Une autorisation obsolète dès sa prochaine vision

L’auteur de l’image peut-être lui-même ou elle-même

La pensée qui l’accompagne ne peut –être capturée

L’élan scopique est animal, voyez-vous ? …

Il est une appropriation ajoutée à toutes les autres,

la bouche, l’esprit et les oreilles en avant,

prêts à incorporer la nourriture des vivants…

 

J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète,

Sculpteur ou Peintre  d’éternité au présent…

Quel repas, dis-tu,  avons-nous partagé ?

À quand,   et avec qui , le prochain ?

On verra... On lira ...

 

Marie-Thérèse PEYRIN  19 Juillet 2015  - 17H

 

 


Ventrée cérébrale de circonstances [non atténuantes] Le trop-plein du jour | Pour Thierry Renard

 

 

 

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Photo d'Autoroute | Aire de Repos | M.T Peyrin 2013

 

 

Ventrée cérébrale de circonstances [non atténuantes]
Le trop-plein du jour 

On ne peut jamais raconter cela à des non -initiés
Secret professionnel
On rentre chez soi avec cela sous un crâne fatigué
Secret professionnel
On se demande pourquoi cela reste si vif si aigu
Devoir de réserve
On rentre avec à l’esprit d’encombrantes images
Devoir de réserve
On se demande quoi faire avec et quoi dire
Devoir de silence
On rentre avec des impressions violentes
Devoir de silence
On ouvre la porte des souvenirs rodés 
Devoir de mémoire
On se demande ce qui est si bien conservé
Devoir de mémoire
On prend ses pensées pour d’énormes valises
Devoir de portage
On se demande comment tout alléger le dos les bras
Devoir de portage
On relie et soupèse des histoires ressemblantes
Devoir de lecture
On entreprend un livre en puisant dans du vrac 
Devoir d’écriture
On se demande comment le tourner
Devoir de loyauté
On n’oserait même pas y renoncer
Devoir de continuité
On prendrait même à bras le corps 
une simple chaise vide pour lui parler
Devoir de solidarité
S’y asseoir, en attendant qu’elle réponde 
quelque chose de sensé d’ autorisé
Devoir d’intégrité
Comprendre enfin le rythme pour l’éclosion
des bouffées de rouge ou de noir
Devoir chromatique
Cesser d’écrire pour laisser reposer
la palette tavelée de couleurs virulentes…
Devoir singulier
Devoir d’endurance.
Devoir de retrait.
Devoir de patience.

MT P 22 Janvier 2014 – 20H


ETAT DES YEUX | Temps 1 | Sous la poussière

 

BOCAUX1
Bocaux 1 | Marie-Thérèse PEYRIN | Juin 2014

 

 Echographie de la Mémoire familiale. Des bocaux vides sous la poussière du grenier. La pensée fait renaître des époques, des voix , des directives, de grandes séances d'écossage ou d'épluchage de légumes ou de  fruits. La joie de tirer sur la languette du caoutchouc orange, pour délivrer les haricots d'été. Deux bocaux à la fois pour les grandes bouches de la marmaille locale. Le poulet dominical, le lapin des fêtes en cousinades, le rosbeef saignant et les steacks hachés moulés sous nos yeux, ayant eu la patience de faire la queue des clients chez le boucher aux joues roses, facétieux aiguiseur de couteaux redoutables. Les bocaux à laver. Les caoutchoucs à changer. La grande lessiveuse à ranger au grenier jusqu'à la prochaine parade des conserves annuelles. Nos mères étaient économes et anxieuses. Elles réclamaient toujours plus de bocaux, toujours plus de légumes et de fruits.Elles aimaient les cerises à l'eau de vie , initiaient les plus grands à les goûter pour les dissuader d'en réclamer. - L'alcool c'est pour les grands, contentez-vous des clafoutis, des pêches aux jus, des abricots s'ils ne sont pas trop chers ! Laissez-nous les griottes pour égayer nos vies de bêtes de somme ! Sous la poussière , le rire de ma mère, ses oeillades aux cousines et aux copines, pour se venger un peu du caractère pesant des hommes trop bien servis, les fils aussi. Les bocaux ne sont pas vides de sens aujourd'hui. Ils contiennent tout l'amour et l'abnégation maternels. L'humour aussi. Je mesure le privilège d'avoir connu une mère possessive et aimante que ses bocaux vides accompagnent aujourd'hui  dans son paradis de confitures invisibles.

 

                                                                                                                                  10.6.2014


Maisons |1

 

Où vivre ? dit-il.

L'autre question

étouffée

Où ne pas vivre ?

 

 

Travailler à la cuisson des briques

et s'emmurer.

Ourler, broder le corps pantelant. L'allonger.

Signer, émarger le livre et gommer.

 

 

Porter la main au front

mais ne plus retrouver

l'entête.

 

 

Michaël GLÜCK, Cérémonies d'exil,

Editions Jacques BREMOND, 1997, p.87

 

 

 

 

 

 

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Rochemaure (07)

DSC_0086


Vallon-Pont-D'Arc (07)  Quartier Bourdarias

 

Réveillée à 5H30 par des rêves agréables de prime abord, aménagement dans nouvelles maisons, pourtant anciennes mais dont l'une connue est proche d'une centrale nucléaire qui me terrorise, l'autre au bord d'une rivière mal endiguée qui a déjà débordé, mais qui se révèle très spacieuse et attirante. A la fin je préfère la vieille maison familiale qui demande des rénovations importantes avec le risque de devoir l'abandonner brutalement pour cause de catastrophe naturelle ou d'exode liée aux histoires d'expropriation qui se répètent...Malgré ces craintes, ambiance CARPE DIEM ! Envie d'ouvertures et de plain pied sur le jardin pour faire un espace convivial d'accueil.  Plaisir d'attribuer de nouveaux espaces pour les objets et les livres surtout, les meubles ne comptent pas sauf ceux qui sont issus de legs familiaux.Le petit bureau fabriqué par mon grand-père pour sa femme après la guerre de 14, peint en noir... Pupitre, trois tiroirs, dont deux fermés à clé pour l'argent je suppose et les secrets. Bureau fait avec des bois différents, et dont le plateau incliné s'effondre un peu. Je n'ai pas gardé la couleur noire, synonyme de deuil que j'ai voulu évacuer pour retrouver le bois et le travail de l'ébéniste amateur. Bureau transmis par ma mère, parce que je l'aimais, elle et son bureau de souvenirs. Je ne conçois l'avenir que dans le respect du passé, qui n'est pas le maintien du révolu, mais une certaine conscience de la valeur de ce qui est concrètement transmis entre les générations, et qui n'est pas de l'argent anonyme. Je conserve aussi un canevas fait en pension par ma mère, un ABCdaire en fil rouge, et qui n'est pas terminé je crois. "J'en ai bavé chez les bonnes soeurs, disait-elle, alors je t'en fais cadeau !". Les rêves de cette nuit ont recousu quelques pans de ma mémoire, et j'aime ce travail clandestin du destin dans mes cellules cérébrales aux libres cabrioles. Pas besoin d'interprétation psychanalytique. Je sais où j'en suis... Peur de la maladie et de la mort comme pour tout le monde, de la misère aussi autour. Et pas envie de les souhaiter aux autres. Leur imaginer un "chez soi" et des racines qui ne soient pas des entraves. Des lianes plutôt pour "voleter" d'un coeur à un autre sans vertige, ni crainte d'une chute qui répéterait celle fantasmatique de l'exclusion du Paradis.


| Arbres qui parlent | 1

DEUX ARBRES EN CONVERSATION D'HIVER  Mth PEYRIN

DERACINEMENT Mth PEYRIN (c)
Photo Février 2013 - Déracinement - Mth Peyrin

 

DSC_0002 - Copie

Photo Juin 2014 - Le Survivant  - Mth Peyrin

 

J'ai toujours considéré les arbres comme des êtres humains avec leur destin, leur croissance, leur profusion printanière ou leur cachexie hivernale, leurs fleurs, leurs feuilles, leurs fruits plus ou moins comestibles et accessibles.  J'aime leur solitude et leur solidarité involontaire. J'aime leurs vélléités de tutoiements avec les orages qui les déciment, peut-être même implorent-ils parfois leur grâce sans qu'on le sache ?... Il arrive que le sol leur refuse le droit d'asile, qu'il leur mette sinon des bâtons dans les roues, des cailloux et de l'acidité préventive pour les décourager de grandir et de grossir. Il arrive que la lumière leur soit comptée et qu'ils la recherchent comme tout poisson cherche son oxygène dans un panier de pêche. Les arbres sont pathétiques et somptueux lorsqu'on les laisse tranquilles et qu'ils vont à leur mort au bout d'un temps très long qui est supérieur à la longévité humaine. J'aime qu'on puisse affirmer qu'un chataîgnier a peut-être 150 ans et qu'il regarde le même pan de mur, devant une maison de pierres, presqu'aussi chenue que lui. Lorsque j'étais enfant, je n'avais pas peur des arbres, ils étaient des refuges et des complices pour tous nos jeux de sauvageons. Ils m'inspiraient du respect et des facéties. L'écorce et la sève odorantes, ou carrément troublantes. La force de certaines branches qui pouvaient soutenir nos poids envolés, chacun son tour, sur une tablette d'escarpolette artisanale. Vertiges insatiables. La branche où la corde de gymn nous obligeait à grimper sous le regard d'une institutrice encourageante. Epreuve pourtant, impression de monter dans le gros marronnier sans permission ! Puis les arbres se sont mis à tomber comme des allumettes sous de grosses tempêtes, de plus en plus fréquentes... Je n'ai jamais vu tomber autant d'arbres que depuis une vingtaine d'années et cela est inquiétant. Ne plus avoir confiance aux arbres, à leur solidité et à leur immobilité est quelque chose de bouleversant. Je ne les regarde plus de la même façon. Ces deux-là, sur la photo, semblaient s'aimer avec passion et l'un des deux a rompu le pacte. J'étais là lorsque le jardinier est venu tronçonner le cadavre encore humide et j'ai pris la photo...  Depuis, je passe dire bonjour au survivant en lui demandant s'il compte tenir le coup, et lui suggère  de parler à des arbres un peu plus éloignés, mais beaucoup moins familiers, .  J'ignore s'il en aura l'énergie...


Tu voulais finir ce portrait … d’Ange… et de Mémoire

 

 

Tu faisais

vite, tu voulais finir ce portrait

du ciel avant l’orage.

 

*

Qu’il réveille les anges,

ce cri

qui ne cesse pas.

 

 

Je porterai le temps sur l’épaule

pour marcher

mieux

 

 

Claude ESTEBAN, Morceaux de ciel, presque rien, 2001

 

 

 

Une foule sans bords de migrants s’ébranle à chaque heure

en direction de l’occident […]

Chaque foule ouvre une meurtrière à travers laquelle

se présente un paysage dévasté[…]

Chacun des personnages de cette foule a son propre texte

à chanter, mais il est impossible de reproduire ces voix,

maintenant qu’elles ont été anéanties. Ce qui nous est donné

de faire, c’est d’essayer de faire entendre leur âme  […]

 

Philippe RAHMY, 2009

 

Winfried VEIT Des stèles aux étoiles
Winfried VEIT

 

On tourne autour d’une image, celle de l’ange auquel on ne croit pas, lui donnant volontiers les noms légendaires d’ICARE le présomptueux , ou de PROMETHEE  le voleur de feu. Il n’existe pas d’ange au féminin, mais on dit souvent que l’ange n’a pas de sexe, l’ange comme l’eunuque ou le transsexuel, aurait la voix des deux, alternativement, successivement plutôt. Par choix personnel ? Il est facile de délirer sur la notion d’ange, puisqu’il s’agit d’une fiction inventée par la religion et qui désigne l’instance à qui l’on donne la mission d’intercéder entre le mystère de la création et le sort des créatures terrestres. L’ange est aussi un supplicié à qui on a noué les bras en arrière, suspendus sur un poteau d’extermination, dont le corps s’est affaissé sous la fatigue et la douleur … Pas besoin d’image …  On n’en finit jamais avec l’illusion d’un pouvoir captif du Désir humain pour changer le cours des événements et des choses à son profit, pour sa survie physique et morale. En s’inventant un ange gardien, chacun peut encore prétendre prendre le risque de sa vie même, il peut plus ou moins consciemment s’éloigner de la prudence et chercher à sauter de haut ou voler plus loin, conquérir des moyens d’indépendance illimitée... C’est pour cela qu’on a inventé les balançoires, les avions, les hélicoptères, les fusées spatiales et les satellites afin de surveiller ou s’éloigner de la planète encombrée et polluée. Les anges seraient donc les ancêtres des enfants insouciants, des cosmonautes mais en plus érudits, c’est-à-dire, immatériels. Quant au statut des internautes, personne n’a pu jusqu’ici synthétiser les preuves qu’ils participent au même office. La qualité des prestations est difficile à valider. Il n’y a rien d’angélique à première vue dans les échanges sur le web. Ce qui tend à prouver qu’on est encore bien rivés à la vieille planète. On ne sait même plus qui a posé le premier poème sur le web ! Maintenant que la météo s’y affiche et qu’on voit arriver les dépressions et les catastrophes naturelles ou pas, les bulletins de santé du moral collectif sont diffusés sans discontinuité et celui des individus tend à être englouti dans les flots déversés. C’est comme si chacun(e) devait se débarrasser de son ange-gardien en même temps que les autres, pour faire le boulot lui-même. Il n’existe pas d’école de navigation dans la spiritualité sans accessoires, et l’usage des plumes est aujourd’hui trop répandu et biodégradable pour ne pas être contesté. La poésie est une piste d’atterrissage, rarement un tremplin universel pour l’humanité déboussolée. La peinture réinvente le ciel autant que son contraire dans les chutes abyssales de lumière et les ombres surmontées… C’est déjà un progrès pour la verticalisation, l’élévation,  la dignité et la modestie.

[ … ]


L’ Ange mécontent

 

Ange mécontent  Piazzole

 

Pour Angèle & Yves en pensant à Winfried

 

L’ANGE MÉCONTENT

 

Je n’imaginais pas jusqu’ici qu’il pouvait exister. Je n’imaginais pas avant de le rencontrer dans un livre sur les menuiseries traditionnelles en corse de Joseph ORSINI. Il a été  sculpté et peint sur la porte de l’église Anunziata à Piazzole (Orezza) mais la reproduction de son visage me semble trop enfantine et boudeuse pour paraître d’origine. Ange atypique et mystérieux. D’autres photos du livre pourtant, semblent attester le passage d’artiste (un ou plusieurs ?) plutôt facétieux et peu soucieux des proportions, ou des perspectives du dessin. Imagerie religieuse  artisanale et dévote créée par un villageois inspiré ? On ne serait pas étonnés  de  retrouver ces évocations figuratives dans un Musée d’Art Naïf du continent.  Il aurait fallu pour cela que quelqu’un se soit avisé de démonter les portes pour leur faire franchir la Méditerranée. Mais contrairement aux légendes, on ne déplace pas aussi facilement un ange mécontent. Celui-ci semble avoir perdu ses ailes, et l’on n’est même pas certains qu’il s’agisse d’un ange. Il semble sorti d’une forêt d’arbres-champignons hallucinogènes, il s’éternise tristement à guetter la  venue de paroissiens qu’on ne voit pas dans le livre. Le bois peint est sec, écaillé et blanchi par les intempéries et l’oubli des hommes. Cela peut expliquer aujourd’hui sa mauvaise humeur et ses yeux  de plus en plus réprobateurs.  Comment comprendre et consoler un ange mécontent ? J’attends peut-être une réponse d’ébéniste, d’historien, de sociologue ou d’artiste contemporain, la réponse ecclésiastique me semblant obsolète. Les anges contemporains s’ils existent, disent presque tous : Chut ! Ils sont, un jour ou l’autre, licenciés économiques, propulsés dans la Télé-Réalité en CDD, sauf les plus coriaces qui se maintiennent dans le haut de la hiérarchie sociale, que Régis Debray appelle parfois les médias incarnés par les porteurs de messages non divins. L’ange mécontent a bien raison de rester là où il est. Les dégâts sont suffisants. Mais que la Corse est belle dans ses ruines pieuses de montagne protégées par la mémoire de la mer !


ETAT DES YEUX | TEMPS 1 | Dans le blanc...

                                                                                                                            

                                                                         [           je me suis préparé p ] our vous dire ce qui est

                                                                                                    écrit, mais auparavant je m'étais préparé

                                                                                                    pour écrire ce qui peut être dit, mais aupa-

                                                                                                   [ravant je m'étais préparé p ] our

                                                                                                               

                                                                                                   je parle au début sans y voir

                                                                                                                            [                                            ]

                                                                                                   je me prépare indéfiniment pour exister un

                                                                                                   jour

                                                                                              [                                                   ]

 

                                                                                                  plonger au fond de la parole. on cherche à

                                                                                                 [tâtons. on remonte avec des] ©oquillages

 

 

                                                                                                 Patrick DUBOST, La récréation des morts, p. 25

                                                                                                 VOIX éditions 2001 |

                                                                                                 Avec incrustations et bruits de  Richard MEIER.

                                                                                                 Exemplaire (usé) n° 11/123

 

Orientation Céleste
Orientation Céleste | Photographie Estivale 2013 | Mth PEYRIN (c)

 

Dans le blanc de tes yeux, comme dans tes veines, j'ai vu tes peines. Et finalement, tu peux être n'importe qui,

l'effet de pâleur et d'encre sourde sous ta peau ou de sang injecté, un peu n'importe comment, dans les globes fatigués et jaunis de tes yeux

sera toujours à lire et à soulager de toute urgence.

Pour autant, je ne suis pas certaine de tout voir et de tout supporter sans broncher ou sans rechigner.

J'en ai trop vu et entendu déjà. De plus en plus de mal à accorder mes verbes, hésitant entre le singulier et le pluriel.

Parfois, je voudrais garder les yeux dans le noir, forcer légèrement l'occlusion des paupières et attendre les phosphènes de la saturation comme signes  avant-coureurs patents de mes limites  d'absorption mnésique.

J'attendrais volontiers, hors les mots,  l'apparition d'un écran blanc et silencieux. Indemne de toute souffrance,de toute souillure.

J'aurais alors l'illusion fugace que rien de terrible ne pourrait arriver à nouveau.

Surtout pas ta liste macabre de noms épelés à perte et à pertétuité, ou de matricules violentés, doublement niés  par la traçabilité polémique de l'horreur.

Opalka n'est malheureusement plus là pour éclaircir sur ses toiles biographiques les traces ignobles de l'absurdité et du délire de destruction humaine dupliqué jusqu'à l'apocalypse banalisée, partout, et de tout temps.

Le blanc est resté pour moi le symbole et le secret du coquillage préservé de ton nom de secours. Le blanc avec lequel tu habillais petits tous tes enfants si fragiles et mortels.

Le blanc est pour moi une phrase pure, intacte et lisible, sans besoin d'interprète, ni de preuve supplémentaire. Les faits essentiels , existentiels y sont inscrits, indéracinables dans un recommencement des couleurs qui demandera toujours des comptes et des éclaircissements exigeants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Quant aux Anges... avec l'aide de Christian BOBIN

Cherchant pour Winfried VEIT,des explications dans les livres de poètes sur les motifs de chute d'anges ... Si l'on poursuit le raisonnement de Christian Bobin, l'Ange qui chute est-il en panne de parole ? N'a-t-il plus rien à transmettre ? Est-ce un problème d'écoute, un manque d'écoute ? Une flèche malencontreuse dans le vif d'un coeur  terrestre ?

 

BARCELO MIQUEL L'Ours blessé 2000
Miquel Barcelo, L'ours blessé, 2000.

 

"Quant aux anges... ils ne viennent, quand ils viennent, que pour une seconde. Mieux vaut leur parler avec peu de mots pour avoir chance de se faire entendre. Et d'ailleurs quoi leur dire. Ils ne viennent pas en leur nom. Ils viennent au nom de la vie, ils nous apprennent quelque chose et à peine nous l'ont-ils apprise, cette chose , qu'ils repartent dans un tournoiement d'ailes.Les anges et les écrivainsfont le même métier, métier de plume, métier d'éclair. Mais là aussi prenons un exemple. Un exemple récent, vieux d'à peine deux mille ans. Un ange s'approche d'une jeune femme de Palestine, il lui dit bonjour, vous allez avoir un enfant, il ne sera pas de votre mari, pas d'un autre homme, ce sera l'enfant béni de dieu, au revoir. C'est, vous me l'accorderez, une annonce qui afait depuis quelque bruit. Rien de plus simple, rien de plus bref qu ces paroles : l'ange ne s'est pas embarrassé de grandes formules, de longues phrases méditatives, de théories sur la génétique ou sur la psychanalyse. Il a dit ce qu'il avait à dire. Il l'a dit simplement,  ce qui ne veut pas dire : sans ombre. C'est d'ailleurs çà un ange, ce n'est rien d'autre : une parole. D'où qu'elle vienne. Une parole qui vient nous délivrer par sa simplicité, nous éclairer par son mystère.Le frôlement d'ailes d'une parole pauvre."

 

Christian BOBIN, Une paire de chaussures neuves, Entretien avec  Nelly Bouveret,

La passe du vent,1999, p.45.


ETAT DES YEUX | TEMPS 1 | Sur le chemin...

 

Ne laisse en ce lieu, passant

Ni les trésors de ton corps

Ni les dons de ton esprit

Mais quelques traces de pas

 

Afin qu'un jour le grand vent

A ton rythme s'initie

A ton silence, à ton cri,

Et fixe enfin ton chemin

 

 

François CHENG

 

Vidéo Winfried VEIT bientôt diffusée

Film de Raymond LIVROZET sur le peintre Winfried VEIT (2013 )

Sera probablement présenté au public en mai 2014

 

A toi, Winfried, qui t'intéresses davantage au mystère de la survie des êtres fragiles comme les libellules, qu'aux frasques humaines que tu qualifies de sempiternelles dans l'erreur de se croire au centre de l'univers.  Tu ne manges pas de viande, chaque hiver tu nourris les oiseaux au bord de tes fenêtres avec des graines de tournesol. Tu t'affaires, tu peins, sculptes et dessines dans une vieille usine au toit fragile ( Lui aussi... ). Tu te méfies des mots, des mots intraduisibles, de leur accumulation, de leurs double-fonds qui les rendent interprétables à perte, jusqu'au conflit qui est leur mauvaise pente fatale et banalement  habituelle. Tu les utilises pourtant, tu aimes jouer avec leurs sons, leurs étymologies, tu les lances en l'air comme des couleurs vers une toile ou une entaille de sculpteur, un peu pour voir comment ils retombent entre toi et les autres.  Tu te sens féministe et très admiratif de la femme, avec le sentiment d'avoir été exclu de la capacité de la défendre ( de la garder ?). Tu ne comprends pas toujours pourquoi tu ne la comprends pas comme elle le voudrait, et en particulier lorsqu'elle te renvoie une image de toi déformée par les reproches habituels d'inattention, d'inaptitude à la garder à la distance qu'elle souhaite : tout près du coeur, de l'esprit et du corps. Tu ne retrouves plus le vocabulaire magique de la séduction et tu remarques que son temps d'effet est trop court. Tout être humain t'approchant se heurte à un rival de taille qui est ton besoin de solitude et de retrait des affaires courantes dont tu as fait le tour, et qui t'ont rendu dubitatif. Mais ce n'est pas toujours vrai. Tes rires et ton humour si singuliers sont des trêves au seuil de chaque relation où tu sembles  si impliqué dans le désir de ne pas faire de différence entre le passé, le présent et le futur. Tu as un vif sentiment de ta place cosmique dans l'espace transitoire de ton grand atelier. Tu n'as pas d'exigence narcissique, tu prends ce qui vient à toi sans trop trier et tu n'as jamais l'impression d'être à la hauteur. Tu flottes. Tu t'interroges sur les raisons de la chute de l'Ange et je cherche pour toi dans les livres des explications. Les anges n'existent pas, les libellules , si. La double paire d'ailes est peut-être l'explication de son panache. Les insectes se préparent longtemps à avoir une vie somptueuse mais très courte. La beauté efficace et apparemment gratuite de leur vol est peut-être notre plus grande jalousie d'humains terre-à-terre, calculateurs et  bêtement belliqueux.

[A Suivre]


ETAT DES YEUX | TEMPS 1 | Sous la lampe frontale...

Dans ce tableau ancien,

la laborieuse chargée de lait et

la voyageuse endormie se considèrent

ostensiblement,

l'une à peine plus réveillée que l'autre.

Vont-elles parvenir à se parler

à se comprendre ?HenryBacon

Avec juste ce rectangle de lumière sous la lampe. Elle éclaire les touches du clavier et un coin de la feuille que j'ai imprimée hier en rentrant, suite au mail de l'ami de Vénissieux. L'hiver est tout autour de nous dans un silence qui m'abrite un peu. La solitude ainsi rescapée est la plus peuplée qu'il soit, dès lors je peux essayer de faire le tri parmi les mots. Les mots à reprendre en compte sont des mots installés dans la pensée à la place qu'ils ont choisis, ce n'est pas nimporte laquelle, et je dois établir la cartographie imaginaire de l'espace ainsi dévoilé. Le poème n'a pas de frontières mais il sauvegarde des contours assez précis. [ A suivre...]

 


Ta vie à pleines preuves...

 

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Pour écouter

Les Etoiles Filantes  | Chanson des Cow-Boys Fringants  | Cliquer iCi

 

Poème pour Richard

 

 

La mort délie les langues, les dévie aussi.                                       

Une douceur s'installe,  au milieu des douleurs

avec des accrocs  très visibles,

et peut-être inséparables.     

On ne sait pas.        

Ce sont les vivants qui les subissent,

ou les provoquent à tour de bras.

Ils les recousent  à la va-vite,

et parfois sans véritable conscience.

Ils les colmatent.

Etonnement des phrases prononcées,

des phrases tues en filigranes,

ou des vieux gestes ordinaires réappris.

Ainsi reprendre le cours des choses

le cours du temps surtout, interrompu.

Points sur les i.  Point sur nos vies. Petits  ! Petits !...

 

La petite musique de ton ombre "fringante"

 se la joue aujourd'hui  très discrète,

dans les nuages de la grand ville où tu as disparu ,

mardi dernier sous nos silences.

 

Car ce petit tas de cendres qui n'est plus du tout toi,

et que l'on va  bientôt installer au pays de ton enfance,

se moque déjà de l'impossibilité de manger la vie,

ta vie à pleines preuves.

 

Ce n'est pas l'air qui a pris l'homme que tu étais.

C'est la mémoire. Notre mémoire.

 

Tu es le premier poème que j'écris

à la gloire d'un cheminot qui ne lisait

que dans sa tête, les horaires importants,

pour ne pas dérailler. 

 

Ton train de vie était modeste

et pourtant fastueux d'intelligence de l'instant,

d'accueil heureux des joies qui viennent,

et qui repartent sans crier gare.

 

Coup de sifflet final. Nous étions là.

 

Tes voyageurs familiers sont  aujourd'hui

à quai .

 

Ils t'applaudissent sans bruit .

 

Des hommes et des femmes en lutte pour la dignité

 

 

 

Salut Richard !

 

Marie-Th. Dimanche 8 Décembre 2013 | Fête des Lumières à Lyon


ETATS DES YEUX | TEMPS 1 | Dans le rêve

 

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Si tu ne te décides pas à ranger tes illusions dans le silo des recyclages, poète, acrobate ou artiste de petites ou grandes circonstances, tu n’auras pas la possibilité de retrouver  ta voix et ton geste  parmi les plus tranquilles et de circuler parmi ces gens qui te nourrissent, te bousculent puis t’ignorent malgré eux. Tu as passé un cap, tu seras toujours dans le même bateau que celui qui t’a fait prendre l’horizon pour ta mémoire. Je t’aime pour toute ta ferveur contre les vents de face, pour tes esquives périlleuses, pour tes réflexes  de bouchon dans la tourmente, je t’aime pour n’être que ce que tu peux montrer sans savoir vraiment ce que tu retiens, et d’où ça te vient. Tu es l’enfant multiple d’Andrée CHEDID .

Cette nuit j’ai rêvé d’un nourrisson né prématurément et qu’il fallait convaincre de respirer malgré les soins inefficients. Cette manière d’enfant citron-miel essayait peut-être, et comme toi de croire à la possibilité de survivre à la précarité de son état si fragile. L’environnement pesait sur lui par l’effet délétère de sa turbulence et de sa négligence. Il y avait péril et je recueillais le petit corps sinistré de temps en temps dans mes bras, cherchant à lui trouver de quoi dormir et grandir un peu mieux, lui inventais un avenir, des subterfuges pour effacer le temps confisqué pour sa maturation dans le ventre protecteur de sa mère. Je me demandais s’il allait vivre  et je me suis réveillée pour ne pas entendre ou voir la réponse.

Maintenant, j’écris le rêve pour lui rendre sa valeur de partage. L’enfant comme le poème nous tombe toujours des mains au moment où on souhaitait savoir comment en prendre soin, comment lui assurer un regard inconditionnel et pérenne. Tous deux nous prouvent que la séparation est incontournable et qu’elle est à dépasser dans le réveil passif ou actif, selon l’angoisse ou la consolation à l’œuvre…

Car nous dit Patrick LAUPIN dans Ravins : « L’enfant perdu veut comprendre les murs de la chambre à la merci de l’élément hostile, le sol dénué d’espace, le désir fou de retrouver le natal ».

Tu n’as pas à craindre cette obsession qui est moins un refus qu’une boucle de certitudes absorbée par le poème et ce qu’il déploie dans le registre de la solution de continuité. Au-delà des êtres, au-delà des mots.

 



ETATS DES YEUX | TEMPS 1| Dans l'immédiat

 

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Toi tu  m'écris qu'il te tarde qu'on se retrouve pour parler de tout, de nos lectures... Lui qui m'écrit qu'on patauge toujours dans l'air du langage et que cela reste à la fois indispensable et parfaitement exténuant. Un troisième qui court après son éloquence comme quelqu'un qui essaierait de rattraper un bus qu'il n'a pas vraiment envie de prendre... Un quatrième qui espère bien vivre de sa plume et qui se met sans le vouloir peut-être le poing dans l'oeil...Pas la peine ni l'impudeur de révéler des noms. Ces hommes là existent. Et toutes les femmes autour, des receptrices un peu goguenardes ou alanguies, lesquelles attendent le tour de parole que les livres ne leur rendront jamais à la hauteur de leurs silences immémoriaux. Et cependant les voix avancent ici, dans ce pays nanti, elles se pressent contradictoires sur des questions fondamentales. Elles sont comme des gouttes d'eau de pluie battante cherchant leur point de fuite sur la pente glissante d'un pare-brise. J'entends le bruit souvent , en même temps que j'admire le graphisme éphémère d'une dégringolade qui ne finit qu'avec la contenance des nuages.Tout vient de plus haut, ça s'impose... et tout m'étonne, vraiment, je reste étonnée de n'être pas plus trempée que je ne suis sous tous ces mots de trombes... Tout  s'essore dans l'oubli au bout d'un temps qui n'est même pas défini à l'avance. Très vite, la sécheresse des mots réapparaît et la poussière sur les piles de livres aussi. Il faudrait alors rester à nouveau dehors pour guetter les nouvelles averses. Mais à quoi bon ? Finalement,être embusquée dans une certaine indifférence pour attendre se révèle beaucoup plus raisonnable. Si le ciel est une bibliothèque très ouverte , recélant des surprises  et des déceptions, mieux vaut s'asseoir avec un parapluie plié  à portée de main et tenter des excursions lorsque le temps le permet. Le temps intérieur.


ETAT DES YEUX | Temps 1 | Regard d'en face

 

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 Toujours là !  [ Sculpture de Germaine RICHIER  cour Musée PICASSO ANTIBES] Août 2013

 

 

L'été lui aussi largement entamé, et je savoure encore les bienfaits de cette virée dans le Sud  pendant quinze  jours,  pour retrouver la mémoire des peintres ou sculpteurs aimés. Il s'agissait aussi de revérifier que l'attraction initiale avait  pour moi des racines profondes. Où j'ai pu découvrir avec enthousiasme de nouveaux récits de vie , romancés et agencés  par les survivants :   les ayant-droits, aux prérogatives parfois ambiguës , les commerciaux et les spéculateurs qui vivent en commensaux  dans le sillage d'une trajectoire artistique sur laquelle ils prélèvent leur dîme. Les bonnes intentions et les bénefices secondaires sont comme le blé et l'ivraie difficilement séparables. C'est pourquoi je préfère le contact direct entre les artistes et leur public à chaque fois que c'est possible. Mais comme le dit si bien Bernard Noël dans le film de Thésée,  et de mémoire  approximative : -  je n'entretiens pas les mêmes rapports avec les vivants qu'avec  les morts , avec ces derniers, il n'y a que les oeuvres et les livres  pour les retrouver... 

Comment éviter la poussière des souvenirs esthétiques qui nous ont marqués à vie, avec plus ou moins d'insistance ?  Chacun, chacune peut faire le décompte, le nombre est-il ou non inférieur au nombre de doigts des deux mains ? Ce n'est pas très important de le savoir. Je ne mets aujourd'hui sur ma page qu'une image. Mes retrouvailles avec les sculptures de Germaine RICHIER  à Antibes. Figures intériorisées de mon rapport à la féminine condition... Les questions qu'elles posent...


Entre le SILENCE et le HAÏKU la MUSIQUE & SON CRI t'emportent loin...

 

"un moineau a vite fait 

le tour de moi,

en quelques bonds "


Claus TINTO

Mai 2013

 

« Nos enfants ont été sommés de ne pas grandir trop vite

pour ne pas s’angoisser outre mesure à la cime des questions .

Ajourner l’indépendance pourtant, n’est jamais l’épargner.

Je les vois ainsi :  ils rêvent de transcendance

sous les crocs des prédateurs spéculateurs.

Ils ne sont même pas certains d’avoir une place unique

dans l’embardée des concurrences abyssales.

Ce ne seront plus  pour certains, des enfants sages et soumis.

Nos enfants brandis par le désir d'enfants et parfois défalqué

de jouissance pour la  perpétuité de hasard ou d'obsession. 

Nos enfants bandits voyageurs aux semelles de vent entravées.

Nos enfants  voltigeurs sont des oiseaux d’apocalypse refusant

la demi-vie, la demi teinte du plaisir, la captivité,

la parole trop douce et soporifique des oiseleurs du CAC 40.

Nos enfants sont des revenants de conte de faits et de méfiance…

 Ils ne nous font plus de maladies infantiles envisageables 

sans les vaccins, ils nous décochent cette musique à réveiller

les morts et les vivants. Musique à pénétrer le corps des mots

jusqu’à l’implosion arbitraire  du silence.

Balles perdues. Déflagrations multiples.

Il faut tenir et sauvegarder la cible bien au dessus du cœur

et viser la conscience… sans compromission...  sans sommation ! »

 

M T  Peyrin | 1er JUIN 2013  | Extrait de réponse à un mail de Claus TINTO


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KIMAMILA VERSION MARIA MAGDALENA

 

En hébergeant ton cri je rapatrie ma patience et ma confiance.



Tri électif | Images qui comptent| Quartiers où l'on vit

 

" Mais il faut parfois passer par le sas de l'étrangeté

pour entendre clairement "

 

Claude-Pujade RENAUD, MARTHA ou le mensonge du mouvement|

Babel 2009|

 

 

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Photo M T Peyrin | 2011

Extrait de la fresque des roses en partie détruite par le feu

au pied d'un immeuble quartier Paul SANTY  Lyon 8°

Une copie réduite a été réinstallée devant la Mairie .

 

  

 

UN INCENDIE DE ROSES 

 

N'ont-ils pas supporté la beauté des roses ou autre chose ?... Le cadeau culturel municipal d'une évocation qui leur était étrangère, provocante peut-être? En l'ignorant peut-être, ils avaient installé leurs familles sur une ancienne Roseraie, dans de hautes Tours de Babel trop bruyantes, , trop peuplées, cosmopolites au fil des migrations succsssives,  suintant la précarité de toutes leurs fenêtres sans balcons, sans illusions d'optique. Derrière  le déguisement du mur aveugle, côté Ouest, ils parlaient toutes les langues de l'exil et le plus possible celle dont ils avaient à négocier l'hospitalité au jour le jour. Les enfants nés ici s'en sortaient mieux, un temps, celui de l'école, à condition qu'ils apprennent bien,  qu'ils jouent le jeu de l'intégration réussie, celui de l'école, vivant  à flux constant dans une double peau de paroles entendues. Comment parler en 2011 aux allumeurs de réverbères et aux serpents vénéneux de la crise mondiale . Avaient-ils lu St Exupéry et cette histoire de rose sous cloche dans le désert ? Avaient-ils vu l'incendie provoqué devant la fresque pour faire disparaître l'image patrimoniale qui ne les concernait pas ? En regardant le ciel, les visages imposés avaient disparu. Les flammes de la colère ne pouvaient pas embraser plus haut que la lance des pompiers. Les roses ont survécu, par leur beauté rêvante, accessible à la douceur des soirs d'été et des retrouvailles entre habitants de bonne volonté. Les enfants faisant le lien culturel entre l'ici et l'ailleurs, le passé et le présent...

 

8 Mai 2013

 

 

 


ÉTAT DES YEUX | TEMPS 1 | Regard Présent

 

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Photo M T Peyrin Mai 2013 | Traversée du Pont la Nuit |

 

 

A l'abri de sa maison, dans la pièce la plus tranquille,

au milieu des fétiches aimés,

tout à coup elle sent s'ouvrir la route,

s'écouler le fleuve.

[...]

Dans la lecture silencieuse, le soir,

le sillon d'une ligne à l'autre traversé par les yeux,

l'intervalle de la page tournée

deviennent la route qui s'ouvre

et le fleuve rapide.

 

Margherita GUIDACCI, LE VIDE ET LES FORMES, 1979

Traduit par Gérard Pfister, ARFUYEN XII

 

 

 

Elle savait  à présent reconnaître le moment où l'écriture  prenait sa position la plus favorable pour glisser hors du corps. La poussée des mots avait été continuelle depuis plusieurs mois, sans qu'elle ne puisse la refouler ou s'en défendre au nom des priorités domestiques ou professionnelles. Elle laissait faire. Elle attendait sans broncher. Dès le réveil des phrases impérieuses s'ajoutaient à d'autres pour former des injonctions à transcrire sans aucun délai. Même le vieux crayon à la mine sinistrée calé sous un livre de chevet avait dû reprendre du service. Une sorte d'urgence s'installait. Elle aimait la sensation mentale de cette tension. Elle  souriait à l'idée que l'écriture à plein temps lui avait été déconseillée par un vrai écrivain soucieux peut-être qu'elle n'y perde pas quelque chose d'important dans sa tenue de route. Il avait appelé cela "l'épine dorsale", et cela l'avait intriguée.  Une écriture soutenue par le dos ! Il n'y allait pas avec le dos de la cuillère...ce bel     Ami...  Mais cette recommandation ne lui était pas désagréable. Et elle attendait là aussi, un complément d'explication qui viendrait tôt ou tard.  Elle savait accorder sa confiance, y compris dans la perplexité. L'écriture démantèle parfois la raison lorsqu'elle réclame un tribut de temps supérieur au crédit de disponibilité résiduel d'une femme ayant consacré  toute son énergie dans les occupations sociales OUTSIDE.  Pensée pour ce livre de  Marguerite DURAS, une fois encore... " Difficile d'écrire sur son propre travail" dit-elle, "c'est extraordinaire de, tout à coup, redécouvrir une phrase dont vous êtes l'auteur''...  Mais elle n'en est pas là, ce soir. Il s'agit plutôt de "voir les mots" qui gravitent dans la pièce, ou plutôt qui restent là où ils sont posés, sur la tranche des livres ( les titres), prêts à raconter une autre histoire que la sienne...Ce "levain d'encre" dont parlait l'écrivain et qui est vraiment partout  !  "Bientôt on ne saura plus rien" écrit  Jeanne BENAMEUR, une autre pourvoyeuse de circonstances à traduire en langue de soi. Tout de suite vient le groupe de mots "papier de soie"... Envelopper délicatement, pour ne pas casser le mouvement d'aller vers... en quittant l'antre et ménageant la proue... Enlever les cales, faire coulisser le grand corps du texte, sans l'abimer... S'en  remettre à l'eau complice... Laisser tomber au fond ce qui embarrasse, laisser flotter ce qui veut rallier les berges de repos sans dommage.

 


Une ambiance aquaphile décuplée... [ à l'Encre ou au Fusain...]...

 

COMME DE L'EAU SUR UNE PIERRE

 

sur qui retourne en quête de son ancienne quête

la nuit se ferme à lui comme l'eau sur la pierre

comme l'air sur un oiseau

comme se ferment deux corps quand ils s'aiment.

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Alejandra PIZARNIK | Extraction de la pierre de folie 

Traduction Jacques ANCET | Ypfilon. éditeur | 2012

 

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Photo M T  PEYRIN  Mai 2013 |Aux Abords d'Ordi.

 

 

De mieux en mieux environnée de présences silencieuses, elle regarde qui la regarde dans un filet bellement démaillé, raccommodé ici ou là, à la sauvette...  Les mots - poissons véloces, dans une mer tendue comme un drap d'eau voltigeur, pianotant des arpèges sous les vents dominants. Parfois très doux. Alternance de pensées étales et de levées d'espace. Croyances de sémaphores ajustées au plus aigu des joies prodigues ou débarquées. Une sorte d'attente qui  prend le temps à rebours. Attente natatoire...

7  Mai 2013



A la petite Donnadieu , chère toute petite dame pas tranquille, DURAS …

 

MARGUERITE DURAS La passion suspendue Entretiens avec Leopoldina Pallota della Torre   SEUIL 2013

 

Au bord de la Mer, 8 Mars 200...

Madame, 

 

*

C’est pendant un mois de Mars qu’on m’a volé mon utérus , c’est en Mars que vous êtes morte , vous aussi. Le signe est indistinct mais je m’en souviens. Je devais vous écrire bien avant de mettre plusieurs enfants au sein , mais on s’est ratées. D’ailleurs, on n'aurait rien pu se dire « pour de vrai ». Césure des générations et des milieux, cirque désarticulant des jeux de rôles sociaux . Je n'aurais pas osé vous aborder je crois, ni même vous écrire... Nos mondes d’ailleurs n’étaient pas d’actualité ni synchronisés, ils en avaient les pleines mains pourtant. On se moquait de vous. Cela me faisait mal. Mais c’était bien après, presque à la fin de votre vie, que je m’en suis révoltée. J’ai mis longtemps à vous découvrir. J’imagine qu’ ils n’avaient sans doute pas compris grand chose de vous , sauf quelques uns, des particuliers, des êtres éparpillés ou très proches qui vous aimaient à cause de vos mots et vos éclats de rire. Vous étiez un peu snob et agressive au sortir de la guerre et un peu zinzin avec l’alcool au sortir du succès. Vous vous cherchiez en Indochine, vous n’aviez jamais quitté les rives parentales dont certaines vous étaient tragiquement floues, taraudantes,  envahissantes. Vos livres ont fait barrage, aqueduc, digue, tous trois providentiels. Vous avez mûri en confidence jusqu’à la lie. Vous avez pris de la hauteur dans la douleur et le regard qui désire à perte de vue. Vous n’aviez pas de concession à faire. Vous étiez la mendiante absolue. Personne ne savait penser à votre place. Votre douceur violente les tenait en respect. Vous les preniez dans vos bras et vous les éloigniez tout aussi abruptement. Vous écriviez comme on respire, par soubresauts continus, sans allégeance aux conventions. Ecrire, disiez-vous, c’est ne pas vivre. Et vous aviez raison. La vie c’est le petit Jean, c’est l’Amant de la Chine du  Nord, c’est l’Anselme inatteignable revenant des camps, c’est Dyonis le bien parlant et réparant, c’est votre fils Jean, c’est Outside dans les instants de conscience, c’est l’évocation d’un Dieu qui ne fait rien pour se faire pardonner, c’est le trou dans la gorge , la voix qui s’éraille, la tête qui déraille... C’est la mer et ses grands piliers noirs, totems de souvenance. C’est l’enfant qui ne voulait pas apprendre à l’école parce qu’il savait qu’on allait lui mentir, c’est le frère–enfant fragile –incestué  des attouchements et des pensées proscrits, c’est la politique qui ne sert qu’à choisir son  éthique sans aucune garantie de résultat , c’est l’épicerie et les recettes de cuisine qui servent à nourrir les proches, à les tenir joyeux au milieu des coussins et des fleurs fanées , c’est votre visage qui a désenflé et vos yeux redevenus chinois, c’est le presque dernier livre qui est celui de la mer qui n’est plus noire, c’est toute votre légende engloutie dans un scandale inutile, c’est toute la jalousie qui vous a encerclée dans les joutes de conformité mondaine, c’est votre féminité triomphante dans des bottes de pluie à mi-mollets et derrière vos grosses lunettes hypermnésiques. C’est votre insolence de jeune fille et votre arrogance de femme libérable. C’est votre voix élégante parsemée de scories facétieuses. C’est votre dictature sentimentale, votre sensualité phénoménale. C’est votre avance sur le siècle en matière amoureuse. C’est votre liberté déniée  par vous-même que je vous envie sans sommation. Vous avez pris l’écriture comme un marin sa passerelle en ignorant tous ses caps. Vous n'étiez prête  qu'à toiser la mer dans chacune de vos pages, et  enfin vous y fondre comme neige au zénith, vous avez dilué les mots dans la connivence absolue, celle dont personne n’arrête les mouvements lunaires.

*

   Je vous écrirai encore Marguerite, à travers d'autres femmes peut-être... Je dois cesser de vous idéaliser. Je veux vous oublier un peu mieux. La vie n'a que faire des romans inécrits.

*

Marie Gladie, femme d’intérieur.

*

*

*

L'Entame des Jours ( Texte en cours ), Mth P, 2007

*

POUR EN SAVOIR PLUS sur MARGUERITE DURAS :

Terres de Femmes

 

 

 

 


[...] comme des étoiles filantes ...

 

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Photo MT Peyrin 2012 | Dans le Jardin de Joël VERNET


Si je tente de faire ici, par petites touches,  le voyage à l'envers dans toutes les situations récentes ou moins récentes où mon rapport aux mots des autres a été vécu, et surtout dès lors qu'il s'agit de les fixer dans la mémoire, je remarque l'étonnante disparité des émotions et leur manque de congruence... Nous pensons tous comme des étoiles filantes et ne retenons que le souvenir visuel d'un trait de lumière, plus ou moins épais, plus ou moins long, mais dans tous les cas bien moins réel qu'imaginaire. On pourrait dire "virtuel" pour aller dans le sens du vovabulaire actuel. Du coup, je me sens autorisée à mélanger les genres, à superposer les circonstances, les êtres et les pensées qui s'y rapportent même si cela n'a d'intérêt provisoire que pour moi, dans le champ des cueillettes verbales qui m'aident à donner du sens à mes pas. Souvent immobilisée par des choix à la fois inconscients et culturels, je sais que mon métier et ma fin de carrière dont j'ignore encore le délai, bien que j'en ressente la fatigue à pleines articulations, me contraint à essayer de rendre vivable l'impression d'affolement et de pressentiment général de dégradation des valeurs et des comportements dans un contexte d'individualisme débridé qui s'affiche à pleines pages de propagande néo-libérale. Et dans le domaine de la Santé, les dégâts sont monstrueux...Le régulateur d'ambiance sociale fait dijoncter tous les jours ses fusibles, la violence et la duplicité pavanent royalement entre l'ascenseur social délabré et les compteurs boursiers qui affichent leurs dividendes provocateurs. En me regardant dans la glace, je ne m'épargne pas, et même si je souris pour me rassurer, je ne manque jamais de constater que mon sentiment d'appartenance au monde est lié à lui, et à toutes ses injonctions insidieuses depuis la naissance. Comme celle-ci s'éloigne  " Et puis, et j'allais dire déjà" dit la chanson de Reggiani l'un des fantômes aimés de mes oreilles, l'heure des bilans se profile et m'oblige à penser sans trop d'illusions sur mes capacités à rester indolore dans mes bottes de sept lieues mentales. Le temps est  venu de les ressemeler ... Je ne peux plus en changer maintenant, et je dois les ménager pour que la métaphore tienne encore un peu...Au coeur de cette prise de conscience, un livre de Régis Debray m'a procuré un soulagement immense, il s'intitule Le Bel Âge... L'humour acoquiné à  l'érudition politique et historique me consolent un peu de la rage induite par la nécessité permanente de ravaler le doute sur les valeurs sociales du siècle surpeuplé, dans ma réalité personnelle et professionnelle actuelle,  et m'ont permis de sourire à connivence déployée avec ce philosophe que j'apprécie depuis longtemps. Mais dire Merci ! à un philosophe sur papier est-il prudent ou suffisant, puisqu'ils sont tous biodégradables ?  La réponse est négative, ce qui va m'obliger à endurer mon sentiment de solitude dans l'avancement des épreuves de vie virtuelles ou avérées. Ecrire permet de partager ce qui est lisible, à titre provisoire. Voyons cela posément, avec un oeil sur la gachette de détente. Retirons -nous les premier.e s  dès que ça canarde trop et pensons plutôt aux fleurs  naissantes des cerisiers que nous allons manger des yeux en attendant le temps des cerises, samedi qui vient, avec l'idée d'éviter le gaspillage outrancier de leurs effets  aphrodisiaques... [Sourire]...

 

  11 .04.2013


Regard soutenu...

En pensant à Jérémy LIRON et Armand DUPUY

 

Si l'on pouvait installer un caméra devant un paysage et prendre une image tous les cent ans, la projection du film montrerait bien comment les parties meubles du sol glissent sur les pentes et disparaissent dans les cours d'eau.

Le film ferait voir aussi que ce déplacement ne s'opère pas de façon égale et continue.  L'érosion laisse des temps de répit aux matériaux transportés : ils en profitent pour se déposer dans les fissures, sur les replats, dans les fonds de vallées. Un jour, ils seront repris et entraînés plus loin. Le répit peut être court; il peut aussi durer des siècles, et même sembler indéfini. Les sites préhistoriques se rencontrent dans des endroits où les couches sédimentaires ont subsisté sans trop de dommage. C'est dans ces lieux privilégiés qu'ont été enregistrées les archives de la terre.

                                                                                                                              André Leroi-Gourhan 

 

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Photo M T Peyrin 2013 | Outils © 

 

Avec les bruits humains aux alentours tu sédimentes la pensée quotidienne qui en est le ciment artificiel en cours d'assèchement. C'est presque calme jour après jour bien que tout ce que tu vois, entends, comprends aille à l'encontre de cette immobilisation progressive et délibérée de l'inquiétude. L'inquiétude concerne toujours le vivant et ses apnées perpétuelles de bon sens. La lutte est enragée, l'ambivalence extrême. On veut sauver et détruire presque en même temps. On veut garder sa peau intacte et on en balafre la surface avec des gestes inconsidérés. On ne se ménage pas et on ne ménage pas non plus celui ou celle qui est en face. On va aux plus pressés comme ces manieurs d'armes du moyen-âge qui confondait le poids du métal et la volonté d'épargner l'autre ou soi en donnant un sursis grotesque à l'escotade. L'intention était d'en découdre, au propre et au figuré. D'où vient se goût si morbide de dépecer la chair ou l'esprit ?  Et maintenant de ruiner ( qui est l'équivalent) l'adversaire qui semble avoir accumulé du profit en existant et en thésaurisant sur le principe de l'exploitation de l'homme par l'homme. Débusquer l'intention d'autrui en le pourfendant à l'avance, se mettre à sa place aussi, puisque symétrie, il y a dans la condition vulnérable et mortelle. Cette passion du "bien faire" , qui est le contraire de la pulsion desctructive, s'apprend. Que ce soit du patrimoine ou des idées, il s'agit pour certains d'accumuler des trésors de guerre et de les cacher le plus possible pour ne pas avoir à les partager avec le voisinage. Certains en crèvent sur leur tas d'or en n'étant pas plus heureux que l'artisan contemplant un meuble ou une maison fabriquée de ses mains grâce à ce qu'il a reçu de technique par ceux qui l'ont précédé et entouré un moment. Caresser la matière transformée par une longue patience et un regard soutenu est un plaisir sans prix. A condition que les objets ne deviennent pas des antiquités sous scellés et qu'ils soient accessibles et habitables. C'est la raison pour laquelle tu as autant de déférence pour les vieux outils rouillés, abandonnésau bord d'un antique établi familial, dans un vieux clapier de jardin  et pour les maisons un peu usées . 

 

Entame des Jours | Outils ...


Elle [se] dit qu'elle va simplifier...

 

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Photo M T Peyrin 2013 | Outils ©

 

 

Elle se promène depuis si longtemps dans la pensée des autres, avec les siennes, dont elle ne se débarrasse qu'à de rares moments. C'est dans les rêves qu'elles pèsent le plus avec des effets de mystère et de rebonds qui n'en sont pas. Elle a glissé dans sa vie, comme  quelqu'un qui  à un moment donné , profitant de sa conscience engourdie, avait été  installée à la cime d'un toboggan séparé, mais identique à une multitude de toboggans disséminés autour.  Au début, elle ne percevait pas les différences de pente, de hauteur, les nombreux bruits de chute et les cris étouffés ou non. Elle ne s'étonnait jamais d'avoir le vertige et pensait qu'elle s'y habituerait. Elle imaginait souvent une longueur de descente interminable et s'en amusait. Il lui arrivait, comme à tous les enfants, de chercher à remonter à contre sens avec le souci de prouver qu'on peut tenir tête, avec les bras et les pieds, au principe universel de gravité des corps célestes ou voulus tels. Elle avait besoin de ses illusions et de ses bravades pour retarder le moment de contact définitif avec le sol qu'elle espérait pas trop rude sans choisir de version particulière. Qui descendra plus bas verra ce que le sort lui concocte. L'expression "mauvais sort" n'a pas son antidote, on ne dit pas "bon sort", on dit plutôt "sortir ou ne pas sortir du lot". Se vivre comme un échantillon d'humanité plus ou moins bien  loti est anxiogène. C'est le "lot commun" où chacun.e tente de "tirer son épingle du jeu"... Tout n'est pas pensé et fait dans ce type de perspective. On peut bien s'avouer qu'on met beaucoup de temps à "se rendre compte" de ce qui se passe. On perçoit surtout les gros décalages entre ce qui est subi et ce qui est transposé en langage partagé. On dérape souvent dans l'indicible. Elle  a séjourné de longues années dans l'idée que le plus dur était passé, et que l'avenir ne pouvait être qu'un élagage des prétentions. Elle acceptait facilement l'idée de dispersion des mots, elle voulait leur rendre leur libre arbitre, leur arbitraire aussi. L'important était devenu d'amplifier les possiblités d'expression dans la simplification la plus naturelle.  C'était devenu l'obsession de la fin de chantier : amortir la chute avec un matelas de mots à mémoire de forme...

 

L'ENTAME DES JOURS | Texte en cours


Elle me (re)dit : "J'ai du mal avec les maisons..."

 

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Photo M T Peyrin 2012 

Sortie Arrière de Bâtiment Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation -Lyon 7°|

 

 

 

 

Pour Olga Marin-Veit et Jérémy Liron

 

 

Ce qu'elle me dit résonne dans ma mémoire récente, et tout se relie naturellement à la place que tiennent précisément les maisons successives dans ma vie de femme et celles des femmes qui m'ont précédée. J'ai toujours fait des rêves de maison et des cauchemars d'exode. Je sais de quoi elle parle lorsqu'elle évoque l'impossibilité de trouver la sécurité autour du corps empêché de résidence et de calme, le contraire de l'impression de folie au logis. Réfléchir à cela, et aux conséquences. La première maison, c'est le corps, banalité de le rappeler, et pourtant. Le corps est la maison qui se construit, qui rutile parfois et qui se délabre inexorablement. Maison que l'on viole depuis la nuit des temps et qui tente d'échapper à cette fatalité qui n'en est pas une si on réfléchissait bien. La première préoccupation animale est de trouver l'abri sécure , avant même d'aller quêter la nourriture. Nous sommes toutes des  Poupées Russes "infatigables"... mais parfois découragées...

 

Plaisir pourtant ce matin, à relier ces pensées à celles de Jérémy Liron dans son Journal de Résidence qui commence. Il se demande comment investir le creux d'un lieu avec son propre sentiment de creux pourtant débordant de possibilités créatives. Le lieu est d'abord inconnu et inquiétant mais profondément attractif car il implique une montée des pensées constructives dans un espace réel à construire. Où seront les murs porteurs, les passages, les alcôves, les zones de respiration, les secrets de charpente d'une oeuvre à venir. Les plans d'occupation du ciel et de l'horizon collectif ne sont pas encore lisibles. Il faut s'asseoir par terre, sur un rebord d'escalier ou dans un coin non repéré de tous pour fabriquer les lignes de fuite, le fil à plomb, le regard du géomètre qui sait à l'avance que cet endroit ne peut être conçu que pour des silhouettes de passage dont le silence final n'est pas le moindre des défis. Parler dans l'espace, parler dans son propre espace mental est le premier devoir d'un peintre ou d'un sculpteur. Parler à partir de la contemplation et de la suspension très provisoire du geste. S'immerger dans le déjà su qui s'oublie au fur et à mesure pour entrer dans l'eau secouée de particules d'inconnu. Réapprendre à savoir où ça commence, où ça s'arrête, où ça oblige à entrer ou à quitter, et ce qu'il en reste pour "ceux qui après nous viendront"... Penser l'espace dans les intervalles de doigts découpant la vision, procéder par cadres successifs, juxtaposés, superposés, recomposés, labiles, et saisir les plans dans toutes les positions pour en retourner les logiques de fond en comble, éviter le tournis, colmater les fissures, caler les portes et les fenêtres, blanchir pour agrandir, noircir pour révéler. Habiter la lumière rasante et chaque trajectoire de poussière avec tendresse et détachement. Savourer la beauté d'une ligne brisée ou d'un contour de ruines espérantes. Prendre le parpaing pour ce qu'il est :  un poste de guet où s'asseoir et renifler, pour crayonner en attendant la toile et les parois mobiles. Chaque geste comptant, sans décompter le temps de façon mécanique. Etre là pour organiser la présence sans préjuger de son intensité et de ses limites. Etre le chien actif de Giacometti dans toute son endurance avec son flair philosophe et  propulsant. Marquer le territoire sans y croire éternellement. Sourire en repartant. Bouger juste.

 


Arbres & Vocabulaires Tutélaires

En hommage au vieux pommier familial

d’Agnès SCHNELL  rencontré ce matin et

en pensant aux mûriers et aux platanes de mon village d'enfance...


 

Dans le jardin de ses grands-parents, un très vieux pommier refleurissait chaque année. 

Il offrait une maigre récolte de fruits acides, immangeables, mais jamais il ne fut

question de l’abattre. L’arbre avait survécu à deux guerres, à des dizaines d’orages, 

à des meutes de gosses chapardeurs et maladroits. Il avait souffert d’hivers polaires,

d’étés foudroyants, de pluies sans fin. Il portait en son écorce en ses fibres

vieillissement et usure Il s’était peu à peu déchargé de ses branches. 

Minées par les insectes xylophages, brisées par des gestes inconscients, 

arrachées par la violence du vent, elles s’étaient détachées, lentement,

comme à regret. Moignon de tronc raviné, il proposait cicatrices et

chancres à la caresse de la fillette. 

a.s. Extrait de "Analogie"


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 Photo M T PEYRIN 2012 Ombre de Mûrier de Ville


 

Réveillée par des mots qui cognaient à la vitre de la conscience au décours d'un rêve nostalgique. 

La voix maternelle, ses expressions retrouvées, répétées à l'envi de son vivant, et qui intriguent (me font sourire)

encore. Comment choisit-on les mots, les manières de dire, que nous prélevons dans le vocabulaire parental,

que gardons -nous de si précieux, comme des clés personnelles du monde, que laissons-nous en arrière,

et comment évitons -nous, ou pas, le petit pincement au coeur lorsque ces legs verbaux nous reviennent dans

les rêves qui préparent notre propre disparition ?  

 

Elle disait : "la vie, ou ça,  ce n'est pas un amusement..."

ou "la beauté, ça ne se mange pas en salade..." Et bien d'autres choses encore... 

Ces constats étaient soudains, irrévocables et offerts à tous les paliers de l'humeur.

Ils avaient beaucoup plus d'impact lorsqu'ils étaient proférés calmement, comme une pensée

philosophique surgie sur un rebord de table de cuisine, pendant l'épluchage des légumes de la

ratatouille saisonnière, seul lieu où l'encombrement des heures par les charges de famille

offrait un peu de lenteur aux relations entre deux générations.

 

M.T PEYRIN |ENTAME DES JOURS, Esquisses|Avril 2013|

 


Maman, Stop !

 

 

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Photo M T Peyrin| 2012 Ancêtres en Soi  ©

 

 

 

"La résonance plus importante que le sens"  Jean-Pierre Siméon

évoquant Carolyn Carlson et  sa danse calligraphique

 

 

Automne 2007

 

    On se parle à soi-même,  mais au fond, on est déjà certains de ce que l’on veut se dire .

    Besoin de détachement autant que d’attachement. Préserver une sorte d’équilibre entre les deux pour ne pas trop souffrir. C’est très souvent mission impossible.

     J’apprends ces jours que l’autofiction mène au conflit avec l’autre. Il est risqué de parler  de façon singulière sans mettre en cause ce qui entoure , ceux qui entourent. Heurter les susceptibilités est inévitable sauf à pratiquer une déformation de la réalité. L’objectivité n’a aucun avenir en littérature, elle est soupçonnée dès qu’elle montre le bout de son nez. Il faut déguiser, transcender, déformer à souhait et donner des dimensions nouvelles aux événements minuscules, les rendre méconnaissables tout en les brandissant au plus près de leur force de frappe initial. Logique de guerre pour moi. Je ne souscris pas. Je n’aime pas qu’on me raconte des histoires invraisemblables, je préfère les vraies , que l’on prenne le temps de les revisiter en détails  pour mieux les voir, mieux les comprendre,  mieux les oublier. Il faut laisser la place nette en partant.

 

 

*

 

 


Tectonique des Seuils

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 Photo M T Peyrin 2013   Bron Centre Ville - Abords zone démolition/reconstruction ©


 

Aujourd'hui, vers dix heures

nous avons découvert un large seuil

 

Un homme s'y tenait debout

flagellé de lumière


Il nous offrait son aide bénévole

pour mettre au jour

les vestiges infinis de la parole

 

Marie-Ange  SEBASTI|LES MARGES ARIDES|

 

 


On écrit sans doute au bout du corps,

Quand quelque chose ramène sur une plage,

rivage, limite de langue[…].

Mais tout le travail intérieur visera à juger

si oui ou non, à force de retouches,

le poème peut finir par parler à l’autre.

 

Antoine EMAZ|CUISINE| Publie Net | 2012

 

 

*

Un poème appelle forcément un autre poème, comme l’onde d’un écho entre le vide de deux montagnes trop lourdes pour se rapprocher.

*

« S’il vous plaît , ne me donnez que votre rêve, tout le reste vous en avez besoin ! « 

*

On s’est connu(e)s sur le Web, comme d’autres sur une plage estivale surpeuplée, au bord de la mer bavarde. Nous avons mis côte à côte nos pages comme des serviettes éponge ou des nattes légères .

Dans un restaurant, une qui me dit : « Mes meilleur(e)s ami(e)s, je me les suis fait(e)s sur Internet, mais pas pour la rencontre… La rencontre , c’est la boucherie ! ».

*

Paroles à tire d’ailes :

- Vous avez des maux de tête ?

Elle  répond:

- Non !

[Elle ment… Elle ne veut pas déposer sa plainte ici, elle ne se sent pas en confiance…]

- Vous écrivez ?

Elle répond :

-Oui !

[Elle rit … «Vous n’en saurez pas plus 

! « … Elle ne veut pas déposer son cœur vivant ici, il y a trop de courants d’air…

Un cœur qui s’enrhume infeste tout le reste du corps!]

*

La nostalgie du silence … silence à peine effleuré par patience, inadvertance presque … Plus les mots sont rares, mieux ils sont entendus : se détachant nettement du silence antérieur, du mutisme antérieur, devrais-je dire.

Pourquoi parler ? Pour qui plutôt ? Il me semble que la question est toujours valide à chaque prise de parole, à chaque rupture brutale du silence. Cela fait deux morceaux compacts : un Avant et un Après. Au milieu une sorte de faille, comme le sont tous les accidents géologiques à nouveau envahis par la végétation.

*

Ce mécontentement des poèmes… battu en brèche par une ascension compensatoire  et ostentatoire du sens… Il y a longtemps que l’on n’incline  plus  la tête dans la rue au passage des ostensoirs ( Ils allaient porter l’extrême-onction à domicile). Elle a vécu cela  , enfant , et ça l’impressionnait…

Au poème, lui faire redire la direction à prendre, s’en contenter brièvement.

 Passer au chinois des mots sonores le mécontentement résiduel ou virtuel.  Dans la bruine ainsi obtenue, reprendre des habitudes aux contours arrondis au plus grand dénominateur commun des certitudes. Vaporiser cette brume des mots ainsi filtrés et atomisés dans l’oreille tiède de plusieurs poètes fatigués ( de préférence). 

 

 


Questions de générations...

On les écoute parler entre eux, entre elles. On perçoit dans les aigus les non concordances, les zones sinistrées de l'incompréhension massive.

Les images ne sont pas les mêmes.  Les centres d'intérêt non plus.

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Le vocabulaire et le raisonnement ne puisent pas aux mêmes sources ou ne les utilisent pas dans le même sens, le sens partageable. Le curseur du choix entre le présent , le passé ou le futur ne cesse pas de flotter.

La langue d'aujourd'hui met à mal le sentiment d'appartenance. Elle a besoin  pressant d'amarrage et de continuité.

La tension sociale est perceptible.  Elle pose sans la résoudre la question du confort matériel avant le confort moral.

La mégère économie s'approprie toute la pensée vitale. La générosité elle-même est enrôlée.

Les vieux et les jeunes en Europe se toisent anxieusement à la recherche d'un nouvel équilibre personnel et plus solidaire. 

La famille comme refuge et repoussoir à liberté, se nucléarise ou explose,  elle  se modifie  et change de forme en fonction de la politique et du désir d'indépendance. Mais elle n'a pas les coudées franches et distille le fiel de ses contradictions dans les affrontements idéologiques sur le droit à procréer et à  revendiquer la parentalité juridique. L'ordre moral et religieux se sentant menacé, les tentatives de reprise d'influence sont de plus en plus caricaturales. La bannière des croyances tient lieu de costume social. Etrange dérive et pourtant récidivante dans l'histoire humaine. Les racines du monde de Gulliver sont coriaces à éradiquer.

La tentation du repli et de l'autarcie intellectuelle infiltre bien des moments communautaires et il convient d'en tirer les conséquences avant de mettre un mot devant l'autre pour vivre en paix tant que faire se peut. En tout cas, réfléchir à tout cela n'est pas superflu.


Avec, Françis CABREL , Vous, vous êtes et Nous, nous sommes...

 

 

 

Vous, vous êtes et nous, nous sommes
Des hommes pareils
Plus ou moins nus sous le soleil
Mêmes cœurs entre les mêmes épaules
Qu'est-ce qu'on vous apprend à l'école
Si on y oublie l'essentiel
On partage le même royaume
Où vous, vous êtes et nous, nous sommes

Moi j'ai des îles, j'ai des lacs
Moi j'ai trois poissons dans un sac
Moi je porte un crucifix
Moi je prie sur un tapis
Moi je règne et je décide
Moi j'ai quatre sous de liquide
Moi je dors sur des bambous
Moi j'suis docteur marabout

Et nous sommes des hommes pareils
Plus ou moins loin du soleil
Blanc , noir, rouge, jaune, créole
Qu'est-ce qu'on vous apprend à l'école
S'il y manque l'essentiel
Semblable jusqu'au moindre atome
Vous, vous êtes et nous, nous sommes

Moi j'me teins et je me farde
Moi mes chiens montent la garde
Moi j'ai piégé ma maison
Moi je vis sous des cartons
Moi j'ai cent ans dans deux jours
Moi j'ai jamais fait l'amour
Nous enfants, neveux et nièces
On dort tous dans la même pièce

Quelque soit le prix qu'on se donne
On nage dans le même aquarium
On partage le même royaume
Où vous, vous êtes et nous, nous sommes

Où nous sommes des hommes pareils
Plus ou moins nus sous le soleil
Tous tendus vers l'espoir de vivre
Qu'est-ce qu'on vous apprend dans les livres
S'il y manque l'essentiel

S'il y manque l'essentiel
J'aime mieux ce monde polychrome
Où vous, vous êtes et nous, nous sommes
Des hommes pareils
Des hommes pareils
Des hommes pareils
J'aime mieux ce monde polychrome où nous sommes
Des hommes pareils
J'aime mieux ce monde polychrome où nous sommes

 


Il y a tellement de choses à dire... écrit-elle !

 

 

 

Vole entre les deux

mondes             en visite

dans le volume

 

Surprends-les avec

un roseau qui tremble tant

qu'aucune lettre ne peut

coexister 

             peau contre peau

sans se détruire

[...]

           ici plutôt que lors et

          à présent plutôt que là


sans préjuger de la direction

qui l'accomplira

 

 

Régine DETAMBEL, Entre les deux mondes[Extrait], dans  pas d'ici pas d'ailleurs,

Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines,

Présentation et choix : Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire,

Préface : Déborah Heissler,  VOIX D'ENCRE , p.291.

 

OISEAUX BLANCS DANS LES HERBES NEPAL ELODIE

Une carte qui vient du Népal. Elle a mis beaucoup de temps pour arriver jusqu'ici. Elle me parvient le même jour que celle de Nouvelle-Calédonie, qui elle, s'est perdue depuis l'été. Les périples sont des manières de relire le lien des épistoliers en l'exilant par rapport aux contingences et à la temporalité habituelle. L'échelle des signes vivants s'en trouve rehaussée... Elle me donne des nouvelles, lui m'en demande de si loin... Ce sont des êtres qui comptent, pour cela,  j'en rends compte, dans ce moment d'écriture qui n'était pas du tout prévisible en me levant hier matin. Bouffées de tendresse et de gratitude pour les mouvements d'écriture qui accompagnent des pensées dont je recueille le nectar.   J'aime finalement rester immobile dans ma ville, et que les autres voyagent pour moi, qu'ils en rapportent leurs différences, leur rapport particulier à la vie, hors-frontières familières. Je réalise encore que je n'aime pas partir, pas quitter, pas changer de repères dans ma vie...  Je ne tombe même pas des nues en constatant que je préfère retrouver, accueillir et choyer, ceux qui viennent d'ailleurs, ceux qui ont eu le cran de passer des douanes , des mesquineries , des herses de protectionnisme étatique ou ethnique, des crapuleries de taxation du transit, ceux qui ont exporté leurs mots, afin d'éprouver leur langue maternelle dans un hors-champ du sens. Réduisant volontairement les possibilités de compréhension et partant,  et la facilité passée d'insertion instantanée. Je les admire, mais je ne les jalouse pas. Je n'ai que le regret de ne pas pouvoir utiliser plusieurs langues pour exprimer ce que  cette humanité ambulante m'inspire. Reste qu'Ulysse ou Pénélope auront fait le même voyage l'un vers l'autre, l'une vers celui qui ose s'aventurer et rebrousser chemin avec le sentiment de ne pas pouvoir rapporter l'univers dans sa besace ou sous son crâne. Je lis les mots en souriant. Des visages et des voix surgissent au milieu de mes phrases. Je me sens très bien accompagnée et disponible au rêve et aux flottements de mes perceptions mnésiques. C'est un état second mais primordial. Il s'enracine dans  une expérience de dialogue dont je mesure le privilège au fil du temps. Il est rare de sentir aussi fort la présence qui parle malgré l'absence physique. Et c'est un vrai réconfort, une source de joie vive. Il y a tellement de choses qu'on ne sait pas dire... et simplement. 

Mth P.

 

Lettre de Nouméa  C.J.


Exclamation de la Fillette pour le pont de Toussaint

 

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Exclamation de la fillette

que j'entends mais ne vois pas

m'a mise en joie  hier matin :

- Mémé, il y a beaucoup de soleil !!!

Une découverte, une annonce , une bonne nouvelle

et il n'y a pas de réponse immédiate à avoir. Seulement,

cligner des yeux et tendre le visage pour se chauffer

à la tendresse du moment.

Tout est dit, dans cette phrase qui inaugure la place

d'un trésor éphémère de présences.

Comme j'aimerais dire à une aïeule  encore vivante :

 - Attention mémé, il y a beaucoup de soleil !

 

*


Disparition [ Pour Sylvie Durbec]

 

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Pour Sylvie DURBEC, en écho à son texte du samedi 20 octobre 2012

"Le monde est effacé ce matin, seuls les décombres" sur SMOUROUTE.

 

J'apprends aussi "un mort !" (supplémentaire)...ce week-end - qui n'était pas un proche, qui n'était pas célèbre - mais habitait une grande maison au milieu d'un vaste parc clos de murs, avec sa femme et leurs deux enfants : une fille, un gars devenus grands -le disparu est un voisin de mon père, originaire de ce village où j'ai grandi et vivant pour son travail à Paris une grande partie de l'année. Et sa disparition me peine... me choque... Je vois l'homme quelques mois plus tôt, quelques mots plutôt, dans la rue avec son bandage d'épaule à scratchs. Meurt-on d'une déchirure à l'épaule ? Il y avait peut-être autre chose que personne ne sait, dont il n'a pas parlé . Le couple était discret, réservé. Mon père les appréciait et ils venaient parfois à la maison, entrant avec cette délicieuse courtoisie des gens bien éduqués, et cette capacité à traiter de sujets anodins autant que de sujets érudits, passant des uns aux autres avec souplesse, délicatesse. Mon père disait qu'ils tranchaient avec la mentalité rurale des gens du coin. Il est tranchant lui aussi, mon père... Il se souvient qu'il a mis plus de trente ans avec ma mère à se faire accepter dans la région à leur arrivée, c'était trois ans après ma naissance. Moi je me souviens du soleil, de la chaleur des murailles et des cailloux calcaires dans la garrigue.Les Parisiens venaient retrouver cela. Et ils passaient tout l'été dans leur verdure, à l'abri des regards. Leur fils venait jouer avec mon petit frère, il était aussi raffiné que ses parents ; sa grande soeur étudiait beaucoup, et semblait enfermée dans ses lectures comme une princesse dans sa tour. Cette famille m'intriguait, elle n'avait aucune mesure avec les marmailles du village auxquelles nos escapades d'enfants étaient acoquinées. Ce temps me paraît très lointain, mais aujourd'hui il resurgit brutalement, tandis que nous cherchons mon père et moi, l'adresse Parisienne de la veuve, qu'il n'a jamais eu l'idée de noter ni même le téléphone... Ils étaient voisins et ne s'appelaient pratiquement jamais puisqu'ils étaient certains de se croiser dans la journée...Aujourd'hui, mon père est allé avec sa canne au cimetière, il a voulu visiter une vieille tombe de cette famille, mais il n'a retrouvé que de vieilles inscriptions... L'un des ancêtres médecin a été maire du village ... Aujourd'hui, rien de nouveau n'est écrit sur la pierre grise . Où est passé le mort du parc d'en face ? Qu'est-il arrivé à un homme aussi raffiné et si gentil? Une page de nos vies s'efface soudain péniblement... Je regarde le mur du parc assise sur le balcon paternel, je ne comprends pas la différence avec le mur d'avant... et pourtant... Et qui va désherber désormais ? 



 Dimanche 21/10   21h

Toutes ces petites erreurs...

 

Toutes ces petites erreurs de trajectoire auxquelles tu penses , ayant créé du vide ou du trop-plein.

Toutes ces infimes lueurs dans la planisphère de tes désirs, et que tu ranges en silence sous le plomb  des années.

Rien n'est terminé mais tu vis à reculons désormais, et tu sens dans ton dos l'aspiration fétide.

Tu n'as pas encore peur .  Tu savoures les jours sans douleur . Ni morale , ni physique. Tu égrennes à dessein les bonnes habitudes.  Tu combats les mauvaises,  un vieux chiendent vivant. Tu pactises avec l'indulgence et courtises la résignation.

Et les joies minuscules que tu laisses affluer te sont fêtes à sourires, leurs mots retissent en vrac. Tu voudrais t'arrêter devant la toile entière. Tu voudrais t'en saisir et la hisser très haut. Ciel de lit temporaire, ceinturant les soucis, laissant entrer un air parfois plus doux.

Si quelqu'un pense à toi tu lui rends la pareille, mais rien n'est compliqué, lorsqu'il n'y  a pas de dette. Et si l'on te réclame quelque chose d'indû, un respect contraignant, une façon de dire, tu redis que personne n'a pris ta peau profonde en charge, ni ta détresse des jours les plus noirs, ni le regard usé flatté nuit près  nuit comme un vrai compagnon fourbu et sans abri.

Toutes ces  frayeurs  sorties de ta mémoire , lorsque l'envie d'aller plus loin soudain se détricote...

Tu les regardes  et tu t'appuies un peu. Energie de friction que chaque geste redonne.

L'enfance t'aide davantage, intacte et sans parole au fond des rêves. Redonnant allusion aux recommencements.

 

WAVE  SEPTEMBRE 2012 MTH PEYRIN copie interdite 056

 


ça revient sans douleur

 

 

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Fenêtre familière mais non de ville...

 

 

Les silhouettes ramassent la pensée

la rue en regorge

elles ont une allure d'été

alentie et pesante

 

Les enfants crient

en voyant les jets d'eau

aucun oiseau n'est là

pour contempler leur vie

 

Tu me crois  alanguie

je suis dans les tilleuls

arrimée aux promesses

d'un parfum envoûtant

 

[...]

 

 


Pas de demi mesure

 

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Lettre à une  femme  éprise d'un chantier

 

 

Au mitan peut-être de la vie                           toutes les bornes dépassées

nos panneaux se lisent à l'envers                    à l'encontre des ordres noirs

j'ai renforcé tes accotements                         par des murs ajourés

ils respirent ensemble                                   sans forcer leurs courages

 

Tu étais  partie de trop loin  et moi  j'en revenais  sans le moindre outil pour toi

et sans pouvoir réduire et ni même déduire au débotté la profondeur des anciennes fractures

 

Le terrassement te prendrait à plein temps car tu soulèverais la terre avec des cris

tu voudrais  retrouver et drainer toute l'eau qui  t'a jadis ensevelie

depuis la boue t'habille comme une glue désabusée

mais qui tient au cerveau malgré le temps outrepassé.

 

Quand je pense à toi  je me mets à ta place 

mais sans jamais confondre tes lois avec mes miasmes.

Et quand je redessine  les contours de ta voix

j'entends une eau de forge sauvage et ravinante

 

Je vois pourtant  déjà  le toit  le jardin les lucarnes

qui viendront relayer  ton corps arraisonné

eux qui auront à coeur de protéger ton être

contre les coups du vent de l'orage de tête

 

J'attends une éclaircie : le permis de construire

un abri fabuleux fait d'alvéoles saines

agrémentées de rires et de paroles neuves

où le miel du langage sera bien élevé.

 

La ruche comme asile de nuit

Le jardin comme asile de jour

 

Pas de demi mesure, vois tu,

pour nos relogements !

 

 

18 août 2012

 

 

 

 

 


L'écriture en été

 

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Rien, ici, depuis Janvier.

Ne pas s'en étonner.

Ou s'en étonner quand même.

Les mots ont un coeur libre

et des raisons changeantes.

Les mots des autres grouillent.

Tumulus perpétuels.

Des formes séductrices ou réductrices.

Le temps d'en revenir se perd. 

L'image serait un raccourci.

Mais elle active le mirage, la folie du labyrinthe.

Il faudrait dégager la voix audible

pour appeler sans crainte le vif du sujet.

 

S'y atteler ou sectionner les brides.

 


Quand la mémoire explose...

 

 

 

DH000596

 

quand la mémoire explose

besoin d’un mur solide

et d’un grand feu ouvert

qui craque devant lui

 

dans la nuit irréelle

une odeur de famille

et des yeux dessillés

qui hurlent de tristesse

 

ce n’est pas leur destin

que de porter ces vies

dans un présent muet

hérissé de voix lâches

 

rien n’était inaudible

rien n’était sans caution

les silhouettes noires

engrangeaient le mépris

 

 

elle habillait de blanc

tous ses enfants petits

craignait pour eux le sort

répétitif des pertes

 

 

cette femme effondrée

s’est relevée sans peur

elle a mis sa colère

au service des autres